lundi 22 septembre 2008

Le cercle de Minuit

Samedi soir sur la terre, en Bavière, plus précisément (lieu annuel de prédilection des alcooliques anonymes et internationaux). Alors on est tous beaux et intelligents et on est assis dans un bar à la mode qui se donne un alibi de restaurant italien, sous la forme d'un serveur arrogant et d'une carte écrite en cette langue transalpine. Par arrogant, je veux dire qu'il pose les deux bouteilles du cocktail apéritif sur la table et s'éloigne. Lorsqu'on lui fait remarquer qu'il peut servir les verres, il répond d'un faux sourire qu'il croyait que nous le fassions nous-mêmes car il ne peut pas savoir quel dosage nous souhaitons, tous une vingtaine que nous sommes... Et puis plus tard, il amène la carte, la pose au bout de la table et repart. Il revient pour prendre les commandes, avec le sourire précédent. On lui fait remarquer qu'il pourrait traduire les plats. Ah bah non, il n'y avait pas pensé.

Ce "restaurant" au service si remarquable s'appelle "La Stanza", est sis à la station de U-Bahn "Lehel" et faites-vous plaisir: n'y mettez jamais les pieds. Ceci étant dit, peut-être serait-il bienvenu que j'explique ce qui m'amena là et en quelle compagnie, puisqu'auparavant, j'étais au musée. C'est beau, la culture. J'y reviendrai.

18h et quelque. Je me perds dans la ville qui m'abrite depuis bientôt neuf ans. Ce qui me permet de demander mon chemin à une jeune femme au sourire agréable qui s'avéra aussi étrangère que moi, bien que topologiquement indiscutablement plus douée. Bref, je perds dix minutes parce que j'étais parti du mauvais côté. Et puis j'arrive devant un bâtiment à l'architecture suspecte, pas rasé (il y a 60 ans). Et en un tourbillon de minutes, je me retrouve à la traîne d'un groupe en visite guidée, déjà plongé dans l'admiration d'objets hétéroclites accompagnés de petites notices sur les murs. Groupe presque équilibré, puisque chacun y a sa blonde et qu'elles parlent entre elles dans un langage de l'Est. Aussi, qu'allait-il faire en cette galère? Il y a deux blondes de trop. Mathématiquement.

Au milieu de la salle centrale de l'exposition trône une BMW de course. Peinte en blanc et couverte de slogans édifiants, destinés à nous faire réfléchir sur la vie, la mort, la société, l'argent, nos destinées putrides de consommateurs décérébrés. Les gens s'extasient. Et plus loin des agrandissements de dessins sur Post-Its. Et des photos de gens. Et une peinture réaliste avec un Picsou géant. J'ai honte de mon inculture crasse, qui ne me fait pas apprécier ces belles choses. L'une des blondes surnuméraires est très jolie.

15h et quelque. Je reprends du rosé de Provence avec le risotto familial du fou napolitain. On a bien mangé. Il nous reste encore une armoire à déplacer. Elle sera vite démontée puis remontée trois étages plus bas. Entre temps, on aura bu un café et trois Cointreau pour faire bonne mesure. Du coup on s'amuse bien et on joue avec sa fille à construire des trains et chasser le lion, jusqu'à ce que la maman nous renvoie à notre devoir de déménageurs. Je vais être en retard.

19h et quelque. Les blondes sont parties devant, c'est la nuit, il fait froid. J'attends à un feu avec le bouledogue breton. Eux non plus ne sont pas très bien organisés, puisqu'il ne savent pas exactement où se trouve cette trattoria vantée où nous devons fêter. On fait toujours les mêmes blagues, dans la rue. Et puis là, le bouledogue se retient, sa blonde n'est pas loin devant, après tout. C'est pas du jeu. Les rues sont vides. C'est vrai, aujourd'hui était le premier jour de l'Oktoberfest 2008.

00h et quelque. La rame de métro sent vraiment très mauvais. Ça et là, des épaves de verre ou humaines, repoussées par les balayeurs ou les vigiles. La jolie blonde est effectivement bien jolie, mais elle n'a pas grand chose à dire. Elle a parlé polonais toute la soirée avec ses copines, alors mon anglais souterrain, tu parles. En fait, elle n'a rien à dire. Et après avoir vainement investi un certain temps de cette soirée à la recherche de défis intellectuels ou de conversations intéressantes, je ne suis pas au mieux. Tout gentil. Tout creux. Trop bu avant, pas assez après.

21h et quelque. Bozo le faux italien m'amène mon second risotto de la journée. Nettement moins bon que celui de l'après-midi. Je lui dis "Grazie" pour le dérouter, avec un sourire méprisant. A y réfléchir, j'ai mangé sans y penser. Une blonde diagonale me demande si c'est bon. Je ne sais plus ce que je lui ai répondu. Anecdotique. De toute manière, elles n'ont fait que se raconter des trucs en polonais toute la soirée. Très engageant.

23h et quelque. Ma voisine de gauche, polonaise, s'extasie sur l'une des pièces de l'exposition précédente et me demande mon avis car elle voudrait installer la même chose chez elle. Je ne l'en décourage pas et me force même à faire preuve de créativité en lui proposant des alternatives. Et c'est là qu'elle se rend compte qu'elle parle à un ingénieur. Comme son mari est ingénieur, elle ne se formalise pas. Elle me dit même que lui aussi était terrible, au début, mais que maintenant qu'ils sont mariés, il s'est beaucoup amélioré. Ah bon. Et puis après, je ne sais plus trop. Elle tient absolument à me prendre en photo. Et le bouledogue fait l'andouille.

22h et quelque. Ma voisine de droite est russe. La seule brune de la soirée. Elle s'est mariée avec un ingénieur allemand il y a trois mois et vient de s'installer à Munich. Avant, à St-Petersburg, elle était traductrice. Maintenant, à Munich, elle vend des costumes folkloriques très chers à la bourgeoisie locale (culottes de peau et décolletés à carreaux). Quelle ascension sociale! Quand je lui demande pourquoi Munich, au-delà de l'évidence de la présence de son mari: parce que c'est "une ville de culture". Qui sombre dans la boisson tous les ans, où les métros sentent alors ces indéfinissables relents de vomi, d'urine et de bière mêlés. Elle est très aérodynamique, mais j'ai envie de lui demander si elle n'a pas vendu son avenir à la sécurité illusoire de l'argent de l'Ouest. Et j'ai envie de demander à son mari sur quelle page web il l'a trouvée.

00h et quelque, un peu avant. Ma voisine de gauche s'en va, non sans m'avoir glissé que je suis une personne formidable. Je me demande sur quoi elle se base, je n'ai pourtant pas été grossier. Une autre polonaise, diagonale, se plonge une dernière fois dans la contemplation du catalogue de l'exposition précédente. Le tableau qu'elle préfère est le plus simple et le plus coloré, mais aussi celui où la guide avait donné le plus d'explications. Cette dernière remarque sonne la fin de cette soirée et la lente glissade vers les profondeurs chaudes du métro, tandis que quelques indigènes échauffés convainquent le DJ de passer des tubes de l'Oktoberfest. Non vraiment, il est temps de partir.


jeudi 18 septembre 2008

Articule!

Lundi matin, joie des retrouvailles dans notre séance hebdomadaire et liminaire de cohésion prophylactique. A cette occasion, toute ébouriffée de superbe stratégique (acquise lors d'un ardu workshop les vendredi-samedi précédents au bord d'un lac), la Hyène Rieuse se lance dans une bafouille passionnante aboutissant à la remarque suivante: "Je pense que cette instance est une très bonne occasion pour les consultants de mieux s'articuler avec leur manager". Ebloui, mais chafouin, je lui fais remarquer que cette phrase ne veut rien dire. Sans doute encore sous l'influence des endorphines acquises à l'occasion susnommée et aussi motivée par l'absence du Grand Pangolin (absence qui faisait de lui la représentation locale et temporaire de l'autorité suprême), la créature se rebiffe et me relance: "Mais non, c'est un vrai mot!". Navré de cette absence d'esprit, je lui rétorque: "Certes, mais point dans ce contexte, mon bon". Alors il a changé de sujet. Lavette.

Maintenant, quand je le vois dans le couloir parlant à quelqu'un, je ne manque pas de le féliciter sur son articulation, parfois, elle aussi, particulièrement transparente et de le remercier pour son engagement. En vérité je vous le dis: on vit une époque fomidable.