jeudi 29 novembre 2007

Ils aiment leurs enfants, eux aussi

Chaque visite à Budapest me replonge dans les mêmes pensées. Budapest est pour moi une ville triste. D'accord, c'est mon histoire, ma petite variante personnelle, pas l'Histoire avec un grand H. Mais subjectivement, je trouve Budapest déprimante. Pourquoi? Budapest est pourtant une grande ville, une capitale, un lieu chargé d'Histoire. Ceux qui y vont en reviennent enthousiastes, dépaysés, parfois dithyrambiques. Ils sont des flopées à voyager dans cette direction, sac à dos et guide étranger, je les vois dans le train de nuit, passent 2-3 jours là avant de continuer, vers l'est ou vers l'ouest. Alors quoi, suis-je aveugle, à jamais terni dans mon Europe centrale? A ceux à qui je dis que j'étais récemment à Budapest, qui alors le regard illuminé et souriants me retournent: "Et c'était bien, hein?", je réponds un faible "Oui...", sans fioritures, sans enluminures, froid, je ne peux pas faire autrement.

Pourtant, là-bas, il y a mon Petit coyote, des collines, la possibilité de hurler à la lune en chœur ou de courir en haut, en bas, au bord de la rivière. Mais ça, on pourrait le faire n'importe où. Alors là-bas, qu'est-ce que je vois? Un délabrement triste, une décadence immobilière, un sentiment gris de survie combattante. Des contrastes, trop de contrastes. Quand je suis là-bas, je ne fais que passer, j'atterris dans les beaux quartiers, ou ce qui s'en rapproche le plus. Mais les maisons neuves et imposantes, cernées de portails électriques et de luxe bétonné, côtoient toujours de bas immeubles à la couleur ternie, où le hall d'entrée sent le gaz et aux intérieurs modestes, bien que fonctionnels. Les petits vieux courbés serrant leur cabas sont ici aussi, a côté des limousines étrangères. Le parvenu aura un tracteur, modèle Porsche toutes options, pour gravir les rues lentement délabrées des collines, à toute vitesse, il ne faudrait pas perdre leur élan. A côté, on trouvera des modèles plus modestes de petites voitures japonaises, protégées cependant par des cadenas sur les volants.

Car les portes d'entrée sont rarement dénuées d'un surnombre de serrures ou d'une installation d'alarme clignotante. Ceux qui n'en ont pas ont un chien. Beaucoup de chiens, ici. Au regard de la modestie des installations intérieures, que je peinerais à qualifier de multimédia, je me demande ce que cherchent les cambrioleurs, ici. Une occasion, juste une occasion. Il n'y a pas d'écran à plasma ni de home entertainment server Dolby 9.2 derrière cette porte, juste un modeste micro-ondes, une machine à laver, une radio, une télé modèle 1995. Le luxe est illusoire. Beaucoup s'installent des semblants de colonnes en marbre ou de cabines de douches perfectionnées, multijet massant etc. Ce qu'il en reste six mois plus tard est désespérant, la porte en verre de la douche est sortie de son rail, ferme à peine. Le robinet reste dans la main à toute tentative de le tourner. Les colonnes de marbre changent de couleur, se décollent. Les signes d'une capitalisation trop urgente, trop rondement menée par certains sans scrupules?

Les habitudes de consommation de l'ouest sont hors de place ici. Le capitalisme ne passe pas vraiment. Le sentiment d'un adolescent grandi trop vite, trop soudainement, à qui il manque maintenant dix centimètres de longueur de pantalon et décide de s'habiller deux tailles au-dessus pour compenser. Je ne leur en veux pas, pourquoi devrais-je? J'ai juste ce sentiment triste, parfois. Et je me demande si, d'une certaine manière, ils n'étaient pas plus heureux, avant. Ils se le demandent, eux aussi. Pourchasser des rêves qui ne sont pas les leurs, cependant dictés par les médias et une globalisation galopante, n'est pas une situation enviable.

Le long de la voie ferrée, je vois, au milieu du paysage, ce que mon arrogance précieuse d'occidental gâté nommerait des semblants de bidonvilles. Au centre, derrière les palissades des chantiers permanents, beaucoup dorment dehors. Les façades lépreuses tachées de rejets de gasoil tentent de faire bonne figure. L'Histoire était là, l'Histoire est repartie, reviendra peut-être visiter un peuple soudain orphelin, abasourdi. Ils s'amassent dans des bus archaïques, qui feraient frémir tout Grenelle de l'environnement. Cela ne leur fait ni chaud ni froid, ils y sont habitués. Qui suis-je, pour les juger? Exilé de la confortable quiétude sécuritaire et élitiste de mon village bavarois, un pays qui n'est même pas le mien, non plus? Ils vivent ici, ils sont comme nous, en définitive. Ils lisent des livres, s'intéressent pour la politique, pleurent à la fin d'"Autant en emporte le vent", payent des impôts, ont une vie salairée, une famille, des enfants. Ils aiment, aussi, surtout. Feraient tout pour leurs enfants, également emmitouflés de bonnets tricotés et d'écharpes bariolées, comme leurs voisins, courant dans la neige avec cette joie lumineuse et le temps qui n'existe plus, alors.

A la recherche de l'humanité, j'ai rencontré beaucoup qui seraient volontiers humains. Je n'en suis pas, j'ai accepté ma destinée (r)évolutionnaire. Je les regarde, de l'extérieur, impassible et impartial. Des petits paysans parvenus étriqués du sud-est de l'Allemagne et des hongrois abattus, j'ai fait mon choix. Car comme le chantait Sting, il y a longtemps, à d'autres époques, depuis révolues, les hongrois aiment aussi leurs enfants. Peut-être plus qu'ici. C'est ma damnation, c'est une chance pour mon Fils.

mardi 27 novembre 2007

Je l'achèterai pas, votre chocolat

Lundi matin, tôt. Descendant du train, je me dirige, vivement, vers le métro. Je traverse le hall de la gare et je passe sous cette publicité. Oui, cette publicité illustrée ci-contre dans une photographie approximative faite ce soir à l'aide d'un téléphone mobile-lecteur mp3-appareil photo numérique-etc qui n'en demandait pas tant, au point que je dus appeler Gimp à l'aide en rentrant pour en faire quelque chose d'à peu près lisible. Cette publicité qui, vous l'aurez deviné, eut en ce lundi matinal un effet plutôt repoussant sur ma personne, voire crispant. Je ne sais pas ce qui me crispe le plus, dans cette image somme toute anodine et qui ne ferait guère lever la tête au million de voyageurs qui passe ici (et en a vues d'autres).

1) Le calembour stupide en allemand, tellement stupide que rien que d'y penser j'ai envie d'avaler un blaireau ou de fourrer ma tête dans un tonneau de bière pour une apnée alcoolisée suicidaire. Ahah. Rum. Rum. Ahah. A noter que le rum (ndlr: rhum, pour les francophones fiers qui ne s'abaissèrent pas à fourrer leur langue dans un dialecte guttural paysan) sans majuscule est une contraction de herum (ndlr: autour, dans le sens ici de "bien voyager", pour les mêmes, à qui je renouvelle mon respect vespéral), mais ça, tout le monde s'en fout. C'est pourtant le ressort comique de cette image, sa raison d'être (vous en verriez une autre?). Un comique donc basé sur le double sens (vous me suivez...), léger, pour la route. Tout le monde peut comprendre, entre le sudoku de train régional et les workshops de midi.

2) La mine réjouie de l'autochtone femelle qui brandit son carré de chocolat. On pourrait discuter sur l'origine de ce sourire et prétendre qu'il serait légèrement crispé, peut-être à cause de quelque action surprenante ou inattendue se déroulant en-dessous de la ligne de démarcation inférieure de l'image (une zone donc au possible érogène et/ou sensible, puisque la partie supérieure ne l'est de toute évidence pas). Je ne vois sinon pas de raison de s'extasier sur la présence verticale d'un emballage de chocolat au rhum dans ma main droite. A ce point de saillie ostensible des veines du cou, moi, en tant que coyote et donc prédateur qui connaît ces choses-là, je vous le dit: elle attend le coup de grâce. Je passerai sur l'effet inérotique des lunettes en bakélite. Ne vous y méprenez pas. Je suis un fan de brunes à lunettes, oh si. J'ai un faible coupable pour celles-ci (j'en ai même eu dans ma famille). Mais là, non. Je voudrais pouvoir refermer la page du magazine pour lire autre chose, un reportage sur les petits enfants faméliques et étrangers qui sont tristes à l'approche de Noël, une interview de George Bush discutant Schopenhauer, que sais-je? Et je réalise que ce n'est pas une page de journal, que c'est une affiche géante qui pendouille au-dessus de ma tête et qu'il n'y a que ma tête que je puisse tourner, hélas, pour échapper à l'effarante et implacable attraction du vide.

3) Josiane (je l'appellerai Josiane, par bonté d'âme et pour oublier le fait pesant qu'elle soit domiciliée à l'est du Rhin, donc du même côté que moi) porte un polo. Pour les myopes et malvoyants, je préciserai que ce polo rouge pétant porte la mention "Ritter Sport Freunde". Les amis de Ritter Sport (Ritter Sport étant la marque productrice de ces chocolats dont la seule audace est l'empaquetage carré). Qui, je vous le demande, porte avec le sourire un polo des amis d'une marque de chocolat? Un membre du groupe des amis de la marque de chocolat! Bonne réponse de l'adresse IP 192.xx.xx.xx, qui recevra un abonnement gratuit à Bild de trois mois en récompense pour sa vivacité intellectuelle, qu'il ne faudrait surtout pas laisser retomber, maintenant qu'elle a atteint des sommets. Le simple fait qu'il existe une association des amis de cette marque de chocolat et qu'ils portent haut et fort les polos vermillons et ostentatoires de celle-ci devrait être une raison pour l'exclusion de l'Allemagne du cercle des pays (soi-disant) développés.

J'espère que les responsables de cette campagne de pub cuisent depuis en enfer. Ah mais non, je suis bête, ils y sont déjà. Moi aussi, d'ailleurs.

Paracétamol effervescent

C'était clair, dans le train de nuit, je me suis enrhumé. Comme si ça ne m'arrivait pas à tous les coups. Je le garde sous contrôle (le rhume) en l'assommant à coups de paracétamol, régulièrement. Avant, en France, c'était bien. Un bon coup de paracétamol effervescent, tout allait mieux. Ici, c'est pas pareil. Le paracétamol est de base en boites non effervescentes (les pastilles), rondes et dures, non solubles. Frustrant. Il faut commander la version effervescente séparément, à la pharmacie. Plusieurs fois j'ai essayé, plusieurs fois ils n'en avaient pas et la pharmacienne de me faire son oeil langoureux pour que je prenne la version normale. Alors je fus faible, et puis non, finalement, il y a quelques mois, je lui ai dit que j'irais en chercher ailleurs si elle n'en avait pas, ce que je fis.

Dans la pharmacie du bas, remplie de top-models, enfin, n'exagérons rien, de jeunes filles sympathiques, j'ai commandé du paracétamol effervescent. Dosage 500 (la réalité chimique de ce paramètre m'échappe, moi qui n'ai jamais aimé la chimie, sauf peut-être les travaux pratiques, et encore). Elle m'en donne, avec un sourire qui m'aurait presque fait acheter un quintal de boites supplémentaires. La boite n'a pas la couleur française, mais l'emballage me semble honnête. Et puis je teste. Déception. En plus de ne pas avoir le goût authentique du paracétamol de mon enfance, il met un temps infini à se dissoudre, effervescent ou pas. C'est mieux que pilonner la version compacte standard, certes, mais pas loin d'être aussi frustrant. Trois minutes, cinq minutes, je ne compte plus le temps. Je suis polyvalent, je fais plusieurs choses en même temps, en espérant que je ne verrai pas le temps passer, occupé. Non, ce stupide disque plat blanchâtre fait de la résistance. Secrètement, je le hais. Enfin, éventuellement (comme diraient nos amis anglophones), demeure le verre de départ, l'eau originelle agrémentée de quelques bulles et une discrète bruine sur les rebords dudit verre et alentours.

La dégustation est frustrante. Le goût, aseptisé, trop doux. L'impression de boire de la vitamine C diluée, pourtant sur le tube, point de trace. Bref, décevant. Du coup, sans placebo surchargé, le rhume dure plus longtemps. Merci, hein, vraiment, merci. Enfin bon, au moins, pour une fois, ils ne m'ont pas proposé un substitut à base de plantes. Dans ce cas, je préférerais aller me les chercher moi-même, mes orties fraîches.

lundi 26 novembre 2007

Retour à Budapest

C’est avec neutralité que je retrouve Budapest. En sortant de la gare, je réalise, je me dis qu’effectivement, cela faisait bien longtemps que je n’avais été ici. Relatif. 5 semaines. Pas grand-chose, en fait. La dernière fois, j’avais dormi chez le grand-père du Petit, histoire de calmer quelques soucis familiaux, mais non.

Samedi matin, je retrouve la sortie de la gare, les façades, le trafic, des palissades toutes neuves là où autrefois l’on prenait le métro. J’essaie de négocier avec un chauffeur de taxi qui ferait peur à une bonne sœur
et prétend que le tarif, pour là où je souhaite me rendre, est le double de ce que j’ai payé jusqu’à présent, voire même plus que le tarif de nuit normal. Je lui dis d’aller mourir, son collègue est plus conciliant, mais ne descend pas en-dessous du tarif de nuit. En conséquence, le cœur léger, je pars vers la nouvelle station de métro. Je me confronte à une machine très bête qui ne connaît pas la moitié des différents tickets et me rend, pièce par pièce, un gros billet. Muni de tickets approximatifs et d’un kilo supplémentaire en alliage nickel-quelque chose, je poursuis cependant ma descente vers les quais.

Le métro est pareil à lui-même, bien différent de celui de Munich. Mais fiable. Et plein de belettes, qui malheureusement me laissent froid du fait de certaines particularités géographiques (j’ai déjà donné). Je change de métro, trois stations plus loin. Puis je descends du métro, gravis un escalator impressionnant pour me retrouver à attendre un petit bus ridicule qui ne passe que toutes les demi-heures et se borne, en ce samedi matin, à transférer sans trop de cahots les retraités locaux sur le chemin du marché. La machine à faire des trous dans les tickets, dans le bus, refuse obstinément mon offrande. Je lui dis aussi d’aller mourir (deux fois en moins d’une heure, la journée commence bien, décidemment). Auréolé de gloire étrangère et de rébellion futile, je descends du bus, enfin. Le portail, la sonnette, la routine, quoi. Le Petit est content de me voir. Sa mère… oui, sa mère… j’arrive à en faire abstraction. Le barman est en France, je me demande secrètement si elle n’aurait pas quelqu’un à visiter, d’ici dimanche soir.

Ce dimanche matin, il pleut. Sur la butte, vue plongeante sur le Danube et les hauts-lieux touristiques, le parlement, le pont des chaînes, le bastion des pêcheurs et même ce promontoire rocheux, plus loin, dont j’ai oublié le nom, sur lequel trône un monument soviétique (sans doute) du plus vieil effet. Il pleut, d’ici, le Danube est une masse de brouillard impénétrable. La ville est calme, seul le bruit de la circulation humide. J’essaye de montrer au Petit, il ne s’intéresse pas trop, il préfère le chien qui aboie, en contrebas du point de vue, à côté de Gül Baba. Je vois les toits de Buda, ardoise et tuile mêlée, scintillants dans la bruine. Je me rappelle une autre ville, bien plus loin, bien plus tôt, où j’aimais regarder les toits brillants sous la pluie. Une vie antérieure. Je me souviens aussi, étrange, de cette vue sur le fleuve de la terrasse du château, je pense que c’était à Chaumont-sur-Loire, je ne sais plus, ma géographie m’a quittée.

En cet instant, Budapest me paraîtrait presque habitable, ne serait-ce ce passif… Une ville où il pleut ne peut pas être foncièrement mauvaise. Plus haut, à côté du monument à un gars représenté tout nu, qui devait être drôlement brave à en croire les drapeaux, je hisse le Petit sur un dossier de banc, pour lui montrer le parlement.

Plus tard, la nuit est tombée. L’Est, c’est nul : il est 17h et il fait nuit noire. Pour la troisième fois en deux jours, un autochtone me demande le chemin. Pour la troisième fois en deux jours, j’explique que je ne parle pas la langue vernaculaire. Je ne leur dis pas d’aller mourir, non, j’ai ma dose pour le week-end, je suis serein. Mais il fait nuit. Une cloche sonne. Le Petit me demande ce que c’est et en l’espace de quelques minutes, je me retrouve pris au filet inextricable des ses questions, prêt à philosopher avec lui sur le fait que la religion catholique ne soit pas très favorable aux femmes dans des positions de sacristain. Argh, il m’a eu. Mais bon, ca fait plaisir. Alors on regarde la lune, ensemble, on hurle un petit peu, pour le principe, entre coyotes, on est contents. Puis le temps passe. Il est temps de rentrer, retrouver mes destinées germaniques. Allons, allons.

23 heures et quelques, le train de nuit. Des coups à la porte du compartiment, un essai frénétique d’ouvrir en agitant la poignée. Mon voisin du dessus étend le bras pour déverrouiller. Moi, de la couchette du dessous, je vois juste une paire de bottes bien raides et j’entends: « Passkontrolle ». C’est beau, on se croirait dans une reconstitution historique. En tendant ma carte d’identité à la paire de bottes anonyme, je pense qu’il n’y a pas de hasard et qu’effectivement, au regard de ces particularités toujours très présentes, ils étaient faits pour s’entendre avec leurs voisins de l’ouest, il y a presque 70 ans. La paire de bottes s’éloigne, essaie de refermer la porte du compartiment d’un geste brusque et martial, manque de veine, elle ne s’enclenche pas. Alors la paire de bottes s’énerve un peu, réussit finalement après plusieurs essais puis s’éloigne, va frapper à d’autres portes avec toujours cette élégance subtile et pleine de distinction, animée sans doute par un secret rêve moîte de lourdes portes coulissantes en bois et de regards résignés dans la pénombre glaciale. Je pense à un slogan, genre « L’Autriche, l’autre pays du fromage » ou équivalent et j’essaie de m’endormir, dénué cependant de toute haine.

L’américain de la couchette du haut essaie d’argumenter dans sa discussion avec le hongrois du milieu que ce ne serait pas très sûr d’éteindre la lumière du compartiment. Le hongrois insiste, dans un anglais très approximatif, qu’il voudrait dormir. Point. L’américain ne trouve pas ça sûr et avance que s’il devait quitter précipitamment sa couchette, ce serait drôlement dangereux, il pourrait tomber, rendez-vous compte… Il répète tout le temps la même chose. Alors je glisse ma tête hors de l’ombre et lui fais remarquer, gentiment mais fermement, qu’il a une liseuse à côté de sa couchette et n’est donc pas dans le noir en cas de besoin. D’autant que la lumière du compartiment a une position veilleuse. Alors il dit « okay, okay » Et tourne le commutateur. Dans la pénombre nouvelle, je vois alors soudain une autre source de lumière qui se superpose à la liseuse supérieure. L’américain a sorti une lampe de poche et inspecte les alentours. Après un bon quart d’heure de lumière sans son, sans doute rassuré, il éteint. Celle-là, on ne me l’avait jamais faite. Le petit déjeuner, à 5h30, est composé de sandwiches triangulaires au salami. Merci, vraiment, il ne fallait pas. Munich approche et un dépôt blanchâtre court le long des voies. A l’arrivée, les néons blafards de la gare et le début d’une nouvelle journée, où il me faudra, par nécessité, ingurgiter quelques cafés, même si je n’aime pas ça. Le café n’est pas un truc de coyotes.

vendredi 23 novembre 2007

Pas romantique

Le monde actuel n'est pas propice au romantisme. On le cache, il gène, il est déplacé. Surtout ici. Munich n'est pas une ville romantique. J'y ai cru, un moment et puis... pouf, plus rien. On me dira, avec raison, que c'est un état d'esprit, que tout lieu s'y prête, pour peu que l'on soit dans les bonnes conditions ou pas trop maladroit. Peut-être, je connais un canal qui passerait bien, c'est vrai. Mais c'est une exception. Le reste est juste hostile et froid. Et puis quand je rentre le soir, dans ma tanière, juste pour dormir et que seule l'odeur de renfermé le dispute à l'épaisseur de la couche de poussière et au vide sidéral du garde-manger, je ne suis pas nécessairement habité de sentiments positifs.

Parfois, j'observe les autochtones. Leur forme de romantisme semble se borner au recueillement commun devant des écrans de téléphones portables, au partage de litres de bières sur des bancs en bois en mangeant des trucs gras et à l'assignation ostensible de petits noms doux, mais étrangers, tels que: trésor, moineau, toiha (remarquez l'intonation et le redoublement vocal final, en allemand dans le texte: douhou) ou [insérez un nom d'animal ou neutre ici]-chen. Le tout avec une emphase de bon goût. On me dira que je suis frustré et que de ce fait je ne suis pas à même d'apprécier cette inoffensive légèreté qu'en secret sûrement j'envie. Dieu m'en préserve (s'il existe). On dira ce qu'on voudra, mais tout du moins l'écueil des petits noms germaniques, je l'ai bien évité. Et je ne suis pas pour, dans le futur. C'est vrai, quoi, je suis un combattant, un résistant, un carnassier. Je ne vais pas me laisser appeler grand coyote-chen aussi facilement. Je suis contre, ce serait humiliant. Quoique, il n'y a pas si longtemps (enfin si, quand même), j'étais un chaton hongrois, mais c'était dans une autre vie, maintenant je suis fort et inflexible (hein, dis, hein?)...

Bref, Munich n'est pas romantique. Le spectacle de paysans alcoolisés urinant de concert dans des buissons à l'Oktoberfest ne l'est pas. Les danses piétinantes traditionnelles avec des blaireaux sur la tête ne le sont pas. Et les seuls endroits de ce lieu maudit qui pourraient s'y prêter sont fatalement empesés de la présence de personnes à la recherche de leurs limites physiques plutôt qu'intellectuelles, à pied, à vélo, en surf, poussant des poussettes biplaces, discutant bruyamment les sujets futiles de leurs vies misérables, les impôts, les assurances-vies et leur ascension sociale homéopathique. L'ennui en monochrome.

Les façades grises et rectilignes sont froides et étouffantes. Quand on demande aux locaux ce qu'ils aiment dans cette ville, ils répondent souvent: "la proximité des lacs et des montagnes". C'est-à-dire que ce qu'ils aiment, dans cette ville, c'est son extérieur, où il rêvent de passer leur temps. Et sinon ils planifient leurs vacances en paquets largement proportionnés de dépaysement extrême et le plus lointain possible. Et je vais aux Canaries, et je vais faire du trekking au Népal et je vais gambader dans la forêt au Canada, youpi, youpi, pourvu que je sois loin. Etonnant, non?

Un jour, j'ai vu un couple de résistants, ici. Un mâle, une femelle, allemands. Ils avaient eu cette idée douce de monter à deux sur le même vélo et de rouler ainsi, sur la piste cyclable (pas trop rebelles quand même). Ils en étaient presque mignons. Et puis ils se sont fait arrêter par la police. Mon pote italien et moi, qui suivions sur nos montures respectives, n'en revinrent pas. Ils ont dû payer une amende, sans doute pour mise en danger de la vie d'autrui et insouciance coupable. Il est vrai que le seul équivalent, en niveau de romantisme, à un policier allemand doit être une brigade anti-émeutes indonésienne.

Bref, ici, c'est pas propice. Putain, merde, qu'est-ce que je fous ici... Je voudrais partir, mais j'y arrive pas. Habité toujours de chimères, je poursuis encore, maladroitement, une arlésienne.

jeudi 22 novembre 2007

Dans le métro

"Dans le métro, il fait chaud", disait un notable homme politique français, bien qu'à la destinée brisée. C'est un des avantages certains du métro de Munich, l'air de rien, lorsque l'air d'hiver se rafraîchit au point de rendre nos expirations palpables et nos extrémités rouges. Mais il en a plein d'autres. Des défauts aussi. Exposons-les.

Il est rarement en grève. Les conducteurs munichois de métro sont apparemment beaucoup moins vindicatifs que ceux de notre capitale, qui plus est engoncés dans des structures de négociations beaucoup moins improbables que les nôtres: en gros, on ne fait pas grève quand on veut, c'est coordonné pour être efficace, beaucoup plus efficace (allemand, quoi).

Par contre, niveau fiabilité, on se demande. Certes, de temps en temps, un malandrin égoïste se jette brutalement et bruyamment devant une motrice, avec pour seuls résultats un retard conséquent pour les personnes de la rame et des stations suivantes, qui le maudissent en silence et une myriades de petits bouts de chair sanguinolente qui collent et que l'ont devra travailler au karcher, c'est vraiment pas un boulot, sans compter le soutien psychologique post-traumatique dans un rayon de 5 mètres de l'impact. Mais la plupart du temps, le métro se met en retard tout seul, par pure incapacité technique, en particulier quand il fait froid dehors, même si on est enterré dans des tunnels. Voyons cela positivement, cela facilite les contacts humains, si. Sentir le parfum de ma voisine à la source et partager la musique de mon voisin tout en lisant le journal du gars devant, massé par le sac-à-dos du gars derrière, est un bonheur rare que je souhaite à tous. Bon, on ne se roule pas des pelles, mais c'est une grande famille.

Niveau équipement, il y a deux types de rames. Les anciennes, fonctionnelles, toujours, quoique foncièrement quadratiques. On peut s'asseoir, parfois, dans l'une des six voitures et goûter la compagnie du peuple sur des banquettes en skai brun du plus bel effet, devant le contreplaqué plastifié du plus pur style années 70. On s'y fait, d'ailleurs, il y a beaucoup plus de place que dans d'autres modèles de métros, ne serait-ce que nos capitaux nationaux. Et puis il y a les nouvelles rames, genre monorail lego des belles années (les miennes), tout d'un bloc avec des soufflets entre et un nouveau concept d'occupation de l'espace, i.e. beaucoup plus de possibilité d'être debout qu'assis, ce qui, au regard de la population grandissante de grabataires en devenir, me semble un choix à la limite du judicieux. Les places assises (enfin, la moitié d'entre elles), sont placées longitudinalement, ce qui permet un partage beaucoup plus poussé des phases d'accélération et de freinage avec ses voisins d'infortune (à 45€ le mois, quelle chance). Mais c'est drôlement mieux, parce que les portes sont commandées par des touches sensitives qui laissent parfois les gens perplexes et les trajets sont bercés de la voix suave et enregistrée de l'annonce de la prochaine station et des correspondances. C'est presque beau. Dans les anciennes rames, c'est Günther le chauffeur qui scande les stations de son accent bavarois et nous dit qu'il faut qu'on reste en arrière (sinon il nous arriverait des choses terribles avec la porte qui justement se referme , diantre!). Il dit aussi les correspondances, quand il s'en souvient, sinon parsème parcimonieusement son trajet de quelques blagues, aussi, malheureusement le plus souvent incompréhensible du fait de l'accent mâchouillant (ou de l'absence totale d'humour, chaipas, je suis pas, en général).

Sinon, quand le métro s'éternise pour des raisons déjà évoquées plus haut, eh ben il y a des annonces sur des haut-parleurs dans les stations. Drôlement bien, les haut-parleurs. Qualité dolby thx surround 9.2, au moins. Tellement qu'on se demande d'où vient l'annonce et surtout, ce qu'elle veut bien pouvoir dire. Mais pour les reconnaître, il y a un gong, juste avant. Avant, le gong était sobre, discret, efficace. On savait tout de suite que le gars allait marmonner des choses désagréables, juste après, genre: on est vraiment désolés, mais on sait pas quand le métro ligne [insérer ligne attendue ici] direction [insérer direction souhaitée ici] pourra à nouveau circuler suite à un problème mécanique complètement rédhibitoire quant à la circulation future dans les temps qui viennent que c'est pas la peine d'attendre, on vous aura prévenus. Mais maintenant, le gong est changé, c'est un nouveau. Je ne m'y suis toujours pas habitué, je ne réagis plus. Le nouveau gong sonne à peu près comme les messages quotidiens des Galeries Lafayette: dong-ding-ding grande promotion au rayon chaussettes, la deuxième demi-paire à moitié prix! Alors forcément, on ne peut pas le prendre au sérieux, surtout quand le gars annone, d'une voix monocorde bien que compréhensible, une liste stupéfiante de problèmes techniques insoupçonnés (il y a une chaudière, dans une motrice électrique?).

Et sinon le métro, c'est la pub. Il faut bien s'occuper, dans les stations de métro. On pourrait lire Bild ou ses clones, à la rigueur écouter son iPod ou faire semblant de lire un vrai livre. Heureusement, avant de se poser cette question, on peut se reposer en lisant la pub sur les murs des stations et des wagons, ainsi que les écrans d'images mobiles qui racontent des histoires d'un extérieur si lointain qu'il en est hypothétique. Il y a les pubs pour les restaurants, les chirurgiens dentistes qui ne font pas mal car zen à base de plantes, les conseillers financiers qui veulent votre bien (quels humanistes, ceux-là), les offres d'emploi pour changer son boulot parce que finalement, son boulot, c'est un produit comme un autre, soumis à la concurrence, donc il faut changer pour être "in" et s'assurer que l'on a toujours le mieux, le plus efficace, le plus rentable, que l'on en serait presque heureux de le faire. Pour ceux qui hésitent, paf, un titre de docteur par correspondance, ça vous irait? Ou alors une assurance vie/vieillesse/retraite, vous avez juste 20 ans, il est temps d'y penser, pour les autres, c'est déjà trop tard ou ce sera cher. Sinon réservez votre place au home pour vieux, à côté du canal avec les canards, c'est bien, vous serez entre vous, entre vieux, quoi. Quelle chance. Alors on regarde les dessins animés des images mobiles et on observe les pubs pour le zoo. Enfin pas trop, parce qu'elles deviennent très vite énervantes. Et monotones.

Mais quand on sort du métro, qu'est-ce qui nous attend? Un arrêt de bus, un arrêt de tram ou la grise réalité du lieu extérieur, là où nos destinées nous menèrent. Interloqué, on s'arrête, on cherche son chemin entre les murailles rectilignes et le ciel froid, les pavés, constate l'absence de sympathie et d'amour de ces lieux abandonnés par toute trace de divin et de grâce. Parfois, le vrai tunnel semble être à l'extérieur. Il faut toujours prendre le métro à deux, pour survivre. Je ne suis même pas sûr que cela soit suffisant. Sans artifices, s'entend.

mercredi 21 novembre 2007

Auf der anderen Seite

Je préviens tout de suite: "Auf der anderen Seite" est un beau film. La traduction du titre en anglais me laisse perplexe: "The edge of heaven". Ou comment traduire "De l'autre côté" par "Le bord du paradis". Quand on a vu le film, on peut éventuellement comprendre cette traduction, mais pourquoi ne pas simplement traduire littéralement? Fausse discussion, revenons au sujet. Le film a eu le prix du scénario au festival de Cannes 2007. Le scénario, je ne le détaillerai pas. Il a aussi eu le prix du jury œcuménique à ce même festival. Bon, voilà, pour la page des médailles.

Le réalisateur est turc, ainsi que la plupart de ses acteurs. Il vit en Allemagne. On pourrait presque dire que le meilleur réalisateur allemand actuel est turc. Ce ne serait que justice. J'essaye de ne pas être dithyrambique. Ça faisait longtemps que je n'avais vu un beau film, c'est vrai. Quatre heures avant d'arriver au cinéma, je ne savais même pas que ce film existait. J'ai juste vu l'affiche, sur une page web. Et je me suis dit "Pourquoi pas?". Parce que l'affiche est belle, moi j'ai un faible pour l'océan (sauf que là c'est la mer noire) et les contemplatifs, j'aime cette sobriété. Et puis j'avais vu un film de Fatih Akin, il y a longtemps, c'était plaisant ("Im Juli"). Le propos était plus léger que celui-ci, certes. Alors j'y suis allé (pas tout seul), dans une salle honnête, sans fioritures.

Pourquoi le film est-il beau? Parce qu'il fait passer des sentiments profonds simplement, avec décence et patience. Parce qu'il parle de choses essentielles. Il parle de la mort, effleure pudiquement le côté tragique pour plutôt se concentrer sur ses effets sur ceux qui ont été touchés par la perte, de près, de loin. Ceux même qui n'en sauront jamais rien. Et il parle d'humanité, de recherche, de pardon et d'étrangeté. Une moitié du film se passe en Allemagne, l'autre en Turquie. Alors, "l'autre côté" pourrait être simplement l'autre côté du Bosphore. Ou l'autre côté de la vie. C'est secondaire. Ce film parlera aux expatriés, comme moi. Il parlera à ceux qui ont perdu quelqu'un. Peut-être qu'il leur redonnera espoir aussi. Il parlera aux étrangers, dans ce pays ou dans le leur, dans leur famille, dans leur société. Lentement, sans se presser, calmement. Une histoire de retour, aussi. Volontaire, forcé ou subi.

Parce que les images sont belles. Elles ne sont pas touristiques, elles ne font pas office de publicité, comme cela peut parfois être le cas dans les films. Parfois, le lieu est incertain. Ce jardin pourrait aussi bien être à Brême qu'à Istanbul, qu'à Rome. Cette route, vers le nord, le sud, en Europe de l'est ou vers le bord de la mer noire. Les gens le peuplent, échangent leur place. Vers des destinées inattendues. C'était bien, je n'ai pas vu le temps passer. J'y ai vu quantités de choses de ma vie récente et actuelle. Et j'y ai mis des couleurs, pour une fois. Merci, M, de m'avoir emmené, merci.

La fin, le début (-99)

C'était nécessaire. L'ancien blog devenait trop pesant, trop différent. C'est toujours moi qui écrit, c'est toujours moi qui vit. Mais les choses changent. Et l'identité créée en mai pour palier à la détresse des jours chômés ne passait plus. Je ne suis pas (ou plus?) un oiseau rieur et pêcheur austral, non, je suis un canidé carnivore, chasseur carnassier, des contrées froides, solitaire par nécessité, pas par goût. Je vis dans du gris, du blanc, du vert, du foncé, un peu, pas dans un orange aseptisé.

Je m'en suis rendu compte au fur et à mesure. Il fallait réduire la schizophrénie et revenir à des bases plus "saines". Crise d'identité boutonneuse d'un blog adolescent? Sans doute. L'avenir le dira. Le changement de plate-forme me permet aussi d'intégrer quelques nouveautés techniques plus en accord avec mes buts. Le blog est mort, vive le blog. Version 2.0. J'ai 98 messages restants pour (me) convaincre.