C’est avec neutralité que je retrouve Budapest. En sortant de la gare, je réalise, je me dis qu’effectivement, cela faisait bien longtemps que je n’avais été ici. Relatif. 5 semaines. Pas grand-chose, en fait. La dernière fois, j’avais dormi chez le grand-père du Petit, histoire de calmer quelques soucis familiaux, mais non.
Samedi matin, je retrouve la sortie de la gare, les façades, le trafic, des palissades toutes neuves là où autrefois l’on prenait le métro. J’essaie de négocier avec un chauffeur de taxi qui ferait peur à une bonne sœur et prétend que le tarif, pour là où je souhaite me rendre, est le double de ce que j’ai payé jusqu’à présent, voire même plus que le tarif de nuit normal. Je lui dis d’aller mourir, son collègue est plus conciliant, mais ne descend pas en-dessous du tarif de nuit. En conséquence, le cœur léger, je pars vers la nouvelle station de métro. Je me confronte à une machine très bête qui ne connaît pas la moitié des différents tickets et me rend, pièce par pièce, un gros billet. Muni de tickets approximatifs et d’un kilo supplémentaire en alliage nickel-quelque chose, je poursuis cependant ma descente vers les quais.
Le métro est pareil à lui-même, bien différent de celui de Munich. Mais fiable. Et plein de belettes, qui malheureusement me laissent froid du fait de certaines particularités géographiques (j’ai déjà donné). Je change de métro, trois stations plus loin. Puis je descends du métro, gravis un escalator impressionnant pour me retrouver à attendre un petit bus ridicule qui ne passe que toutes les demi-heures et se borne, en ce samedi matin, à transférer sans trop de cahots les retraités locaux sur le chemin du marché. La machine à faire des trous dans les tickets, dans le bus, refuse obstinément mon offrande. Je lui dis aussi d’aller mourir (deux fois en moins d’une heure, la journée commence bien, décidemment). Auréolé de gloire étrangère et de rébellion futile, je descends du bus, enfin. Le portail, la sonnette, la routine, quoi. Le Petit est content de me voir. Sa mère… oui, sa mère… j’arrive à en faire abstraction. Le barman est en France, je me demande secrètement si elle n’aurait pas quelqu’un à visiter, d’ici dimanche soir.
Ce dimanche matin, il pleut. Sur la butte, vue plongeante sur le Danube et les hauts-lieux touristiques, le parlement, le pont des chaînes, le bastion des pêcheurs et même ce promontoire rocheux, plus loin, dont j’ai oublié le nom, sur lequel trône un monument soviétique (sans doute) du plus vieil effet. Il pleut, d’ici, le Danube est une masse de brouillard impénétrable. La ville est calme, seul le bruit de la circulation humide. J’essaye de montrer au Petit, il ne s’intéresse pas trop, il préfère le chien qui aboie, en contrebas du point de vue, à côté de Gül Baba. Je vois les toits de Buda, ardoise et tuile mêlée, scintillants dans la bruine. Je me rappelle une autre ville, bien plus loin, bien plus tôt, où j’aimais regarder les toits brillants sous la pluie. Une vie antérieure. Je me souviens aussi, étrange, de cette vue sur le fleuve de la terrasse du château, je pense que c’était à Chaumont-sur-Loire, je ne sais plus, ma géographie m’a quittée.
En cet instant, Budapest me paraîtrait presque habitable, ne serait-ce ce passif… Une ville où il pleut ne peut pas être foncièrement mauvaise. Plus haut, à côté du monument à un gars représenté tout nu, qui devait être drôlement brave à en croire les drapeaux, je hisse le Petit sur un dossier de banc, pour lui montrer le parlement.
Plus tard, la nuit est tombée. L’Est, c’est nul : il est 17h et il fait nuit noire. Pour la troisième fois en deux jours, un autochtone me demande le chemin. Pour la troisième fois en deux jours, j’explique que je ne parle pas la langue vernaculaire. Je ne leur dis pas d’aller mourir, non, j’ai ma dose pour le week-end, je suis serein. Mais il fait nuit. Une cloche sonne. Le Petit me demande ce que c’est et en l’espace de quelques minutes, je me retrouve pris au filet inextricable des ses questions, prêt à philosopher avec lui sur le fait que la religion catholique ne soit pas très favorable aux femmes dans des positions de sacristain. Argh, il m’a eu. Mais bon, ca fait plaisir. Alors on regarde la lune, ensemble, on hurle un petit peu, pour le principe, entre coyotes, on est contents. Puis le temps passe. Il est temps de rentrer, retrouver mes destinées germaniques. Allons, allons.
23 heures et quelques, le train de nuit. Des coups à la porte du compartiment, un essai frénétique d’ouvrir en agitant la poignée. Mon voisin du dessus étend le bras pour déverrouiller. Moi, de la couchette du dessous, je vois juste une paire de bottes bien raides et j’entends: « Passkontrolle ». C’est beau, on se croirait dans une reconstitution historique. En tendant ma carte d’identité à la paire de bottes anonyme, je pense qu’il n’y a pas de hasard et qu’effectivement, au regard de ces particularités toujours très présentes, ils étaient faits pour s’entendre avec leurs voisins de l’ouest, il y a presque 70 ans. La paire de bottes s’éloigne, essaie de refermer la porte du compartiment d’un geste brusque et martial, manque de veine, elle ne s’enclenche pas. Alors la paire de bottes s’énerve un peu, réussit finalement après plusieurs essais puis s’éloigne, va frapper à d’autres portes avec toujours cette élégance subtile et pleine de distinction, animée sans doute par un secret rêve moîte de lourdes portes coulissantes en bois et de regards résignés dans la pénombre glaciale. Je pense à un slogan, genre « L’Autriche, l’autre pays du fromage » ou équivalent et j’essaie de m’endormir, dénué cependant de toute haine.
L’américain de la couchette du haut essaie d’argumenter dans sa discussion avec le hongrois du milieu que ce ne serait pas très sûr d’éteindre la lumière du compartiment. Le hongrois insiste, dans un anglais très approximatif, qu’il voudrait dormir. Point. L’américain ne trouve pas ça sûr et avance que s’il devait quitter précipitamment sa couchette, ce serait drôlement dangereux, il pourrait tomber, rendez-vous compte… Il répète tout le temps la même chose. Alors je glisse ma tête hors de l’ombre et lui fais remarquer, gentiment mais fermement, qu’il a une liseuse à côté de sa couchette et n’est donc pas dans le noir en cas de besoin. D’autant que la lumière du compartiment a une position veilleuse. Alors il dit « okay, okay » Et tourne le commutateur. Dans la pénombre nouvelle, je vois alors soudain une autre source de lumière qui se superpose à la liseuse supérieure. L’américain a sorti une lampe de poche et inspecte les alentours. Après un bon quart d’heure de lumière sans son, sans doute rassuré, il éteint. Celle-là, on ne me l’avait jamais faite. Le petit déjeuner, à 5h30, est composé de sandwiches triangulaires au salami. Merci, vraiment, il ne fallait pas. Munich approche et un dépôt blanchâtre court le long des voies. A l’arrivée, les néons blafards de la gare et le début d’une nouvelle journée, où il me faudra, par nécessité, ingurgiter quelques cafés, même si je n’aime pas ça. Le café n’est pas un truc de coyotes.
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