jeudi 20 décembre 2007

Liquides mousseux

Hier, journée paisible entre toutes. La fête de Noël de notre entreprise bien-aimée et qui nous le rend bien. Et pour ce faire, nous partîmes vaillants et chaudement vêtus dans un bus de lusque, pardon, de luxe, direction dehors, la campagne, la ruralitude et le désert céréalier. Au milieu du rien, donc, se dresse une étrange bâtisse. Avec des festons en bois, jolis sans doute pour la localité, dont on devine la fierté altière et l'historicité authentique jusque dans la teinte des poutres de bois lasuré et surtout cette lueur dans le regard des autochtones (non, pas les vaches).

Bref, on est allés visiter une brasserie, une fabrique de bière, quoi. Tout le monde se disait que ce serait bien de visiter un brasserie, surtout moi, qui n'arrive pas à m'intégrer dans l'étrangeté environnante, alors se pencher un instant sur les mœurs agricoles et alcooliques des primitifs locaux, c'est bien. C'est faire preuve d'ouverture d'esprit, essayer de comprendre une autre culture au travers de ses coutumes. J'étais drôlement fier. Et en plus, il y avait une dégustation. Je me refuse à penser que ce dernier point ait eu un poids particulier motivant le choix de ce lieu plutôt qu'un autre pour nos réjouissances de fin d'année.

Pangolin transparent nous fit un discours admirable d'autant que relativement court, sans doute sublimé par le caractère cristallin de la nappe phréatique fossile sous nos pieds, dont nous ignorions alors encore jusqu'à l'existence. Une existence qu'il nous fallut ignorer encore quelques instants, le temps que le directeur de la brasserie nous explique, dans son langage local (non, pas les grognements), que c'était drôlement bien d'être une entreprise familiale de génération en génération. Et que sinon il était content de nous voir pour nous expliquer des trucs, mais qu'avant, il nous faudrait revêtir des lunettes polarisées pour voir un film documentaire (bien qu'apologique) en 3D sur le lieu où nous nous trouvions. Ah, le houblon tridimensionnel! Une expérience inoubliable. Un peu années 80, mais bien, sinon, hein, on ne peut pas leur en vouloir, après tout, s'ils ne sont pas des gens de la ville qui ont tout vu, tout vécu, des gros blasés de la vie, quoi.

Après, on a visité la brasserie, qui n'est en fait qu'une immense installation de chimie industrielle entièrement automatisée. Moi, la chimie... En plus, moi, la bière... Mais non, me dis-je, c'est cul-tu-rel, arrête de récriminer et fais attention à ce que dit la dame. Révélation de l'existence de la nappe d'eau pure d'il y a 15000 ans sous nos pieds, là, qui coule d'un robinet étincelant. Première dégustation. Après, je n'ai plus rien compris, parce qu'elle enchaînait les termes techniques abscons et consultés. J'ai cru comprendre un instant qu'il y avait une colonie de moules dans les tuyaux pour filtrer, mais l'on m'en dissuada par la suite. Bref, rien compris, sauf l'esthétisme froid et métallique des tuyaux vibrateurs et des pompes hydrauliques périodiques. Et puis des dégustations. Encore des tuyaux, des cuves, toutes plus récurées les uns que les autres, un enfer étincelant et labyrinthique, du plus profond de mes cauchemars du noyau dur de chimie industrielle en deuxième année (signe de croix).

Révélation: il existe plusieurs types de bières. Elles sont toutes différentes. Quand la couleur ne suffit pas, on invoque des compositions, des pourcentages, un taux d'alcool. On essaye. Et on mange bien gras pour ne pas perdre le fil. Révélation: tout ceci est terriblement écologique, voire "Bio" (même si cette dernière qualité n'est pas criée sur les toits). Empreint de tradition. Importante, la tradition, dans notre monde sans racines en déréliction globale. Par exemple, les cochons qu'on mange, ils sont nourris avec les restes de trucs dans les cuves et les filtres. Ça arrange tout le monde et en plus ils sont contents (le cochon n'est pas une créature très exigeante, aussi bien culinairement que pour le choix du programme télé).

Enfin bon, on m'accusera encore de négativisme subversif si je poursuis sur cette ligne. Nous rentrâmes contents plus tard, pas trop tard, pour compléter, en d'autres lieux de vie nocturne et enfumée, encore, jusqu'à l'année prochaine. De constater que l'expression corporelle hispanique (ou tout du moins de par là) a encore de beaux jours en tressaillements rythmiques sur les pistes de danses d'ici. Mais bon, il a passé "One more time" alors il ne peut pas être foncièrement mauvais, le DJ, il lui faudrait juste un cours de rattrapage. Et puis il y avait belette stylée, qui se fit draguer sans succès par quelques autochtones d'after-business. Et Dolce Gabbana en duo avec le bouledogue grand-breton.

Le dernier liquide mousseux de cette journée fut identique au premier, bouclant la boucle: le gel douche (modèle au citron survitaminé des îles, attrapé au lasso). Pas très écologique, ni recyclable. Bouh. Vilain. Mais dans deux jours, avec Petit Coyote, on ira voir l'océan, le vrai, l'inimitable, l'éternel. Et on sera contents.

mardi 18 décembre 2007

Les 90 minutes d'expression corporelle argentine

Je m'arrange pour arriver à l'heure, pour éviter la confrontation prématurée avec la réalité du cours. J'y arrive très bien. Manque de bol, Z est dans l'entrée et me met le grappin dessus à peine ai-je déposé ma parka sur un objet fait pour. Et elle se met à bavasser qu'elle est drôlement contente, que ça lui fait plaisir d'être là et qu'elle a déjà raconté à toutes ses copines qu'elle apprend la danse avec un grand français très charmant (juste un peu plus jeune?). Je m'arrange stratégiquement pour avoir l'air très absorbé par le nouage de mes lacets, une activité somme toute souvent négligée mais néanmoins nécessaire pour la réussite des actions qui s'ensuivent. Et puis je vais aux toilettes, tiens. Il serait rédhibitoire que j'eusse envie de faire pipi en plein milieu d'un mouvement. Et puis voilà, il faut y aller.

A et A' sont là, ça fait plaisir, je suis déjà content à l'idée du changement de partenaire. J'ai été gâté, ce soir, d'ailleurs, trois fois. Le prof a dû se rendre compte que faire valdinguer le boudin trapu (et usagé), c'était pas trop mon truc, même si je m'en acquitte avec une constance qui devrait m'honorer, si elle n'était si éprouvante. Sinon il y a un couple de moyens vieux qui sont là. Je dis ça, ils pourraient sûrement être mes parents. Appelons-les C & C', par constance maniaque d'ingénieur désœuvré. C' sait déjà le tango, un peu, ça tombe bien, parce que dans le cadre de notre voyage musical hebdomadaire et implacable, aujourd'hui, c'est le tango. Le tango qui, dans mes souvenirs, est une danse chargée d'énergie érotique, mais ça doit être mon imagination malade d'européen occidental, pleine de clichés. Donc j'inhibe, j'inhibe très fort, comme l'odeur du parfum de Z qui, au premier signe de rapprochement donné par le prof, me pétrit déjà joyeusement le bras droit.

Alors je regarde A et son bellâtre soldé, dans la glace. Ce n'est pas qu'elle soit extraordinaire. Ou si, peut-être, en tout cas, là-bas, dans ce milieu, par contraste, elle remporte tous les suffrages, même le prix Nobel de la paix. Si je regarde droit devant moi, de toute manière, je ne vois pas Z, je peux imaginer quelqu'un d'autre, si ce n'était cette odeur lentement moite... Par exemple L, M ou N. Pffff... mieux vaut ne pas y penser. Le tango, c'est facile. Balance, pivot central, translation, très géométrique, tout ça. Après, il y a le rythme. Z, elle a pas compris. Puis elle comprend. C' sait, mais il ne se la pète pas, ce dont je lui sais gré. C s'amuse. A' s'embrouille, je sens une tension avec A. Mmmm... Mais Z me colle et le prof n'a pas donné le signal. Pffff...

On enchaîne, on enchaîne. Et puis on échange. C est sympa. Plus petite que Z (oui, c'est possible), mais aussi plus alerte. Donc ça marche bien. Puis A. Bonjour, vous venez souvent? Elle a des yeux... intéressants. Je n'arrive pas bien à décrire leur qualité. En tout cas, quand je regarde droit devant, elle, au moins, je la vois. Le plus gros problème, sur la piste encombrée de trois couples, c'est de manœuvrer sans collisions, d'où changements de cours, ralentissements, et autres rotations plus ou moins contrôlées. Je vois Z avec A', du coin de l'œil. J'inhibe. Parfois, je me demande si elle n'a pas bu, avant le cours. Il faut tout le temps qu'elle dise des choses inutiles, faussement spirituelles. Et fort, pour que tout le monde entende. J'inhibe. Je pense à autre chose. Tiens, les vacances, bientôt...

J'eus encore deux fois l'avantage d'avoir A comme partenaire. L'une de ces occasions j'utilisai pour heurter involontairement, pas trop violemment, mais avec une inertie peu avenante, son orteil gauche, malencontreusement exposé par une forme de chaussure sans doute adaptée à la danse et non dénuée d'un certain esthétisme, mais fatalement propices à ce genre d'incidents. Beuh. Je suis embêté, elle ne m'en tient pas rigueur. Et puis à chaque fois il faut que je retrouve Z, qui m'assène qu'avec moi c'est drôlement mieux et que de toute manière, apparemment, c'est nous qu'on est les meilleurs, sur la piste. Je tempère gentiment toutes phrases incluant la première personne du pluriel. J'aime bien les moments avec A, aussi, parce que ça veut dire qu'au prochain tour, je serai avec C, mais Z tripotera A'. Ça me fait des vacances. A propos de vacances, ça y est, l'heure a sonné, le prof nous souhaite de bonnes fêtes et rendez-vous la deuxième semaine de janvier. Rumba. Youhou.

Z me souhaite encore de grandiloquentes fêtes de fin d'année (moi de même, pas chien - coyote -) et se réjouit d'avance pour la rumba. C'est ça, salut, moi, là, il faut que je défasse mes lacets, tout-à-l'heure je les avais peut-être surdimensionnés, dû à l'influence de paramètres extérieurs... Dehors il fait froid. Très froid. Mais j'ai retrouvé ma liberté. Et j'ai hâte de prendre une bonne douche désinfectante pour me débarrasser de cette odeur qui me colle à la peau.

A vous, amis qui eurent l'idée de m'offrir ce cours. Non, je ne vous en veux pas. Mais le premier d'entre vous qui a son anniversaire, je lui offre un cours de lutte gréco-romaine en douze séances dans un gymnase du quartier gay. Non, je ne suis pas rancunier.

lundi 17 décembre 2007

Wolfsburg et moi

Lundi après dimanche. Marrant, ce matin je suis plutôt réveillé. Europe 1 m'assène l'actualité, que Nicolas sortirait avec Carla et quelques gardes du corps habilement déguisés en Dingo et Pluto. Sinon il y a Kouchner qui parle avec Elkabach de la Palestine, pendant que je repasse ma chemise. Je me croirais en France, pour ce petit instant futile, avant de franchir la porte et retrouver le monde étranger qui m'attend, tapis derrière le seuil.

Je suis content de ne rien avoir fait de mon week-end, c'est une jubilation intime. C'est vrai, les prochains week-ends ne m'appartiendront pas. Pas plus mal, d'ailleurs. En plus, il fait froid, dehors. Pas envie, quoi. Au bureau, il me faudra exposer un week-end virtuel e
t familial, empli de joie et de petites choses belles (en vrai, plutôt bordeaux, bière et DVDs). J'y arrive étonnamment bien, encore, c'est fou. Quel acteur!

Et puis pangolin transparent m'attrape en me demandant si on ne voudrait pas s'entretenir 30 secondes, là-bas, au fond, loin des regards et des oreilles. Ben voyons. Il va me parler d'un truc dont il sait que ça ne va pas me plaire. Alors il se prépare, il sait que cela pourrait devenir désagréable. Je sais qu'il sait que le sujet est à tendances polémiques. Il sait que je sais qu'il est sur un terrain glissant. Je sais qu'il sait que je sais et honnêtement, pour être tout-à-fait transparent, je crois qu'il sait que je sais qu'il sait que je sais, non, j'en suis sûr. Bref, il est mal à l'aise et
moi j'ai les oreilles qui se rabattent quand je sens le coup fourré.

La semaine dernière, il a déjà essayé de me motiver pour une tâche de coordination hautement qualifiée dans une exploitation agricole du nord. Oui, Wolfsburg. Drôlement bien, Wolfsburg. En plus, pas du tout un trou perdu, surtout pour un coyote qui vit à Munich. Meuh non, c'est pas loin, on te paye tous les frais, hein. Et puis ce serait du temporaire... J'en connais des qui sont dans le temporaire depuis un an. D'où ce sentiment que je n'aurais pas dû lui expliquer, au pangolin, à propos de moi, du Petit coyote et de sa mère. Je lui explique, gentiment, sans m'énerver, constructif et à l'écoute comme on me l'a appris et conseillé, qu'il ferait mieux d'aller téter le tuyau à gaz dans la cuisine, le résultat serait plus efficace.

Ce lundi, donc, à nouveau la même mise en scène. Tiens donc, encore Wolfsburg. Là-bas, des chacals de notre section nord auraient discuté avec un quelqu'un qui me connaît et qui serait drôlement confiant si je pouvais assurer un projet pour lui. Quelle chance, d'avoir des amis, vive le networking! Je ne me souvenais pas de lui avoir laissé un souvenir tellement impérissable, ni que l'on ait travaillé ensemble de manière poussée. Bref, je dois être bon, je suis connu dans mon domaine, ça fait plaisir, youpi. Non, pas youpi. Parce que: Wolfsburg. Et allez, on organise une discussion avec un chacal vendeur du nord, tu vas voir, ça va bien se passer, hein, histoire de clarifier. Pour moi, c'est clarifié: ça sent le pâté.

Je suis constructif. Je ne laisse planer aucun doute quant à ma motivation professionnelle. Et puis il faut être flexible, hein. Importante, la flexibilité. Je me demande si je ne vais pas changer de domaine. L'agriculture me pèse.

jeudi 13 décembre 2007

Le pont et les bananes

18h30. Heure fatidique en cette fin d'année. Le peuple se presse dans les lieux de consommation, enrôlé dans une croisade. Pas pour libérer la terre sainte, non, pour vider les stocks de marchandises diverses à l'occasion des fêtes de fin d'année. Ces marchandises seront offertes à d'autres personnes. Moi, je cherchais quelque chose pour le Petit. Alors je vais au magasin de jouets à Karlsplatz et je scanne, un par un, tous les rayons, à la recherche de l'illumination.

A mon rayon préféré (les Lego), je trouve ce que je cherchais. Quelque chose de simple et de complémentaire à son installation actuelle: un pont pour son train Duplo. Je suis content. Je considère aussi, un instant, le passage à niveau. Et les rails supplémentaires. Car le pont est imposant: 105cm de long. Il y aura donc sûrement un problème avec son circuit actuel, beaucoup plus modeste. Je devrais donc acheter des rails supplémentaires pour assurer un circuit fermé. J'ignore les rails courbes et je me concentre sur les rails rectilignes. Mmmm. La boîte de 6 pour un total de 78cm. Bien. "78<105", me dis-je en me rappelant avec nostalgie mes années de prépa. Soit un rail rectiligne de 13cm. Or 105 n'est pas un multiple de 13... 104 est un multiple de 13. Il manque 1cm... Grmbl... Comment assurer un circuit, alors? Acheter deux fois le pont pour compenser? Mais après ça devient trop imposant. Solution: le pont se scinde en deux rampes symétriques. Ah! C'est gagné! Je regarde un peu le reste, je flâne, pas trop à cause du monde. Alors je me dirige vers la caisse. Le combat allait commencer, je ne le savais pas.

La caisse que je choisis, par la magie de Murphy, n'est pas la bonne. La suivante non plus. J'explique. Première caisse, je me place dans la queue. Après un instant, la caissière beugle à mon adresse que c'est fini et qu'elle ferme: "Schluß!". La populace putride alentours de se gausser de ce mot d'esprit. Comme je ne suis pas d'humeur à comprendre les mots d'esprit bavarois ou étrangers ou semblables. et que je n'ai pas l'air aimable, même avec mon pont Duplo sous le bras, elle m'explique qu'elle va fermer et que ce serait gentil de ma part si j'acceptais de ma placer dans une autre file d'attente à une autre caisse, non, vraiment. Bon. Deuxième caisse. File d'attente plus longue. Bon. Caissière blonde replète. Pas rapide. Passe une bonne minute à réparer le
crayon pour signer les tickets, alors que la file s'allonge. Puis décide qu'elle échange avec celle qui vient de fermer la caisse précédente. Elles se passent les commandes. L'autre est plus rapide, bon.

Arrive le tour d'une allemande blonde, sûrement catholique. Elle étale devant elle le contenu de son panier de courses. Oh, un panier de courses! Plus petit, pour faire semblant. Plein de trucs miniatures pour faire style, briques de lait, boîtes de riz, saucisses, bière, allemand, quoi. Oh, encore un autre! L'allemande déballe. Arrive le pompom: deux paniers remplis de petits fruits et légumes en bois. Inoffensif, vu comme ça. Bah non, parce que chaque petit machin en bois a un code-barre unique. La caissière saisit son pistolet. Allez. Bip. Bip. Pas bip. De côté. Bip. Oh, la petite banane, là, elle a perdu son code-barre. Ah bah zut, où est le catalogue. Ainsi de suite... Les gens derrière moi sont stoïques, certains en profitent pour se gratter le nez ou rêvasser (heureusement, pas de réception GSM à cet endroit). Pas bip. Ah tiens le poireau en bois miniature, là, bah y passe pas non plus. Vous arrivez à lire le code, vous? Mentalement, je commence à compter le nombre de ponts ferroviaires Duplo pour couvrir Budapest-Vienne en tenant compte du dénivelé. Et puis la blonde catholique acheteuse de dinettes et supermarchés miniature en a fini. Ce serait plus facile de les peser d'abord, les bananes en bois et d'appuyer sur la touche voulue. Allez hop, 95€ de petites cochonneries non mangeables pour apprendre aux petits enfants la société de consommation, la logistique, le marketing et l'inflation.

Soudain la caissière replète blonde surgit du néant (ou des toilettes) et veut reprendre sa place. Allez, c'est bien, merci Gudrun, à demain. Le dernier gars devant moi a juste une petite boîte. Vite expédiée. C'est à moi. Non?! A moi?! Le pistolet-laser éructe un bip satisfait à l'approche du pont Duplo. Et puis scrz scrz scrz. Ah, c'est pas bon signe. La caissière blonde replète s'énerve. "Putain merde Gudrun kestumafoutu?!", kadit. Gudrun s'en fout, elle a pris sa caisse et sa trousse de maquillage et s'éloigne. La caissière blonde replète se rend alors compte que le bruit vient du rouleau de l'imprimante de la caisse (ce que je lui aurais dit plus tôt si j'avais droit de cité). Scrz scrz scrz. Bah oui, bourrage papier. On s'énerve pas, on ouvre, on enlève, on retire, on remet, on referme, on imprime à nouveau. Ce qu'elle fit. Avec un délai. Au passage, elle manque de faire tomber mon pont sur la petite vieille qui me suivait, je le rattrape de justesse au bord de la table. Et puis elle me fait signer mon ticket, à l'allemande, c'est-à-dire en tenant le ticket mais en ayant l'air de regarder ailleurs, derrière, loin. Elle met mon pont dans un sac plastique. Salut. Je suis libre, libre, liiiiiiiiiiiiibre!!! Ça m'a pris un bon quart d'heure de caisse, cette histoire. Mais j'ai mon pont, enfin, le pont du Petit. Joie.

mardi 11 décembre 2007

Le trot du renard

Hier soir, comme dorénavant tous les lundis soirs jusqu'à épuisement du forfait, j'étais au cours de danse. La dernière fois, j'ai appris la valse tout seul avec une rombière bavaroise. Bon. Je fais la part des choses. Et puis apprendre... des rudiments en 1h30 chaque fois. C'est marrant quand même et il y a du potentiel, si. Donc j'y vais, je ne me défile pas. En plus, quand j'en sors, tard, je peux rentrer à pied dans la nuit, sous la pluie, quelque chose que (vous ne me croirez jamais) j'adore.

Hier soir donc, le sujet des 90 minutes était: le fox-trot. En français: le trot du renard. Idéal donc pour le coyote, en théorie. En pratique aussi. Mais hier soir, à ma grande surprise, je me retrouve avec des concurrents. Deux couples. Merdalors. Et pas des quadra/quinqua/sexa ou plus, non, des jeunes! Ils se roulaient de courtes pelles régulièrement, pour sans doute marquer par là leur complicité/dépendance/appartenance respective. Sinon, pas grand chose de plus à dire. Les mâles étaient anecdotiques, modèles standard locaux (quoique bruns, appelons-les A' et B'). Les femelles étaient aussi anecdotiques (l'une un peu moins, mais trop marquée par cette tendance fitness/jogging youpi youpi, je crois, appelons la A par opposition à B, l'autre), modèles locaux standard (dont une plus brune). Bon. Et moi, dans tout ça? Ben c'est clair, je suis tout seul là, alors je prends ce qui passe, en l'occurrence un modèle d'occasion solitaire, comme la dernière fois. "Grand coyote, tu es là pour apprendre, alors pas de préjugés ni de jugements hâtifs", me dis-je très constructivement à moi-même. Je me retrouve donc avec une munichoise d'âge indéfinissable (mais néanmoins avancé), veuve et un peu trop bavarde (appelons-la Z).

Le cours commence, on fait la théorie tout seul, d'abord, face au miroir. Le miroir, qui par un phénomène physique intéressant réfléchit dans les deux sens. D'où je constate que je fais bonne figure en comparaison avec A' et B', petite satisfaction personnelle, toujours bonne à prendre. Et que A tendrait plutôt à regarder mon derrière que celui de A' (elle a dû s'en rendre compte et compenser ensuite par un bisou baveux discret). B regarde les pieds. Le tour des dames. A a un bon rythme. B, je sais pas. Z a du mal avec le rythme, je commence à nourrir quelques soucis. Et puis le moment redouté arrive: la formation des couples. Allons-y. A-A'. B-B'. Z-Gc (votre serviteur).

Z a du mal avec le rythme. Moi, non. Il faut que je lui explique. Et puis le prof lui explique, aussi. Les autres batifolent, certes, mais sans grande synchronisation non plus. Et puis il met la musique. Je n'aurais jamais cru qu'on pourrait apprendre le trot du renard sur une bande son pareille (ça devait être Kool & the Gang). Bon. Z s'emmêle les pinceaux, s'excuse. Constructif, j'essaie de la rassurer et puis le prof s'en charge. Pendant qu'il lui explique, j'observe les alentours. Même spectacle que précédemment, pas de quoi stresser. On reprend. Z se débrouille beaucoup mieux. Très bien même. Je fais abstraction de la différence d'âge, de taille, du parfum agressif (composition ou volume?) et du fait qu'elle me pétrit le bras droit avec insistance, je suis zen. Sur l'heure suivante, rien à dire. Le prof s'occupe surtout de A-A' et B-B', ce qui est bon signe.

Soudain le prof a une idée de génie, dont je lui serai (temporairement) éternellement reconnaissant: on échange les partenaires. 2 fois 5 minutes. Je me retrouve avec A. Bonsoir. Pas mal, A, vous venez souvent ici? Bon, petits problèmes au niveau du pivot central, moi, j'étais calibré pour la petite vieille, pas pour la jeune élancée. "Hop hop, suivant!", dit le prof. Ah ben non alors, c'est pas juste, on vient juste de commencer. Je me retrouve avec B. Pas besoin de me fixer comme ça, tu n'as jamais vu un coyote? Je n'ose pas lui dire, mais la jupe longue serrée, pour la rotation, ça n'aide pas. Bref, c'était très mauvais, j'en suis presque content de retrouver Z à l'issue des 5 minutes. A-A' et B-B' se font des bisous pour se consoler de leur infidélité passagère, c'est beau. Z me pétrit le bras droit.

Dernier quart d'heure, on accélère le rythme. Les limites de la physique sont atteintes, force centrifuge ou pas. Et puis on arrête. Z veut m'offrir un rafraîchissement car je suis charmant. Je l'en remercie, la prie de m'excuser de mon refus car des affaires urgentes m'appellent en d'autres lieux. Elle m'avoue qu'elle se réjouit d'avance pour la semaine prochaine. Je regarde le planning: tango. Le dieu des coyotes me met à l'épreuve, c'est sûr, mais je serai à la hauteur...

lundi 10 décembre 2007

L'amour ci-dessous

J'aurais jamais cru. Non, vraiment. Et puis un jour j'ai écouté du MC Solaar. Bon d'accord, c'est un pic, un cap, une péninsule, chez nous. Du texte de haut niveau, au moins au début. Sinon le rap, c'est pas mon truc. Le hip-hop encore moins. Le R&B, bof. C'est dur de faire la différence, quand on ne suit pas, comme moi.

Ce week-end, je m'accorde une petite folie musicale. Un truc de fous. J'acquiers un album de hip-hop! Seigneur (si tu existes). Il faut se diversifier, pour survivre, non? Je ne vais pas écouter du Poum Tchac toute ma vie, quand même. De là à écouter de l'opéra avec une délectation systématique le soir dans ma cave avec mon verre
de whisky, comme dans la pub, il y a un monde. Grand coyote, pas vieux coyote, pour courir dans le désert, il faut un bon rythme, pour chasser dans la jungle, il faut de bonnes basses. Et puis je me souvenais quelques bons clips d'il y a quelques années. Alors j'ai pris Speakerboxxx/The Love Below d'OutKast, un cru 2003.

Le premier disque, bof, il faudrait que je le réécoute, pas trop envie pour l'instant. Mais le deuxième, The Love Below. Ha! Calmé, cassé. C'est bon! Hachement plus créatif que je n'aurais jamais cru. A la base c'est toujours du Poum Tchac, certes. Pas le Poum Tchac de mon habitude, moins vite peut-être et puis pas forcément Poum Tchac mais plutôt Poum Tchac-Tchac Poum-Poum Tchac Tchac. Enfin, je me comprends... Et puis les textes... Ah, enfin du texte... Avec un autocollant supplémentaire "Parental Advisory Explicit Lyrics", les meilleurs (considérant l'effarante inanité des censeurs américains). Ça m'a rafraîchi, ça fait du bien.

Belette stylée aussi semble bien aimer les textes inconvenants. L'autre jour, elle arrive dans mon bureau, dithyrambique, brandissant une boîte plastique carrée contenant un disque de polycarbonate qui, placé dans un appareil idoine, produit en retour une vibration rythmique de l'air ambiant appelée musique. Dingue, ça. Je fais mine de m'y intéresser et je lui promets que je vais lui dire ce que j'en pense, parce qu'elle, déjà, elle ne se sent plus: "C'est français, c'est super. Je l'ai vue en première partie de Mika et c'était mieux que Mika!". Bon. Moi, Mika, à part Relax sous la douche, et encore (question de tessiture)... Alors j'écoute.

Belette stylée écoute Yelle. Moi, je en savais même pas que ça existait. Si j'en crois mon anglais, le nom n'est pas très engageant. Mais c'est français alors oui, je me sens coupable d'être loin de ma campagne natale et des dunes battues de vent de mes vacances et je me force à écouter. C'est gentil, oui. Sympathique, sans doute. Tendance, sans conteste. Mais de là à dire qu'il y aurait une once de créativité là-dedans... Je suis méchant. C'est juste pas mon truc. Il paraît, dixit Wikipedia, que c'est de l'électro-punk, influencée par son compagnon DJ Grand Marnier (sic). Bon. Belette stylée revient deux heures plus tard, me demande ce que j'en pense. Je lui tends son CD avec cette expression qu'ont les chirurgiens dans les séries américaines quand ils doivent annoncer à la famille qu'il ne passera pas la nuit. Elle est un peu vexée. Je lui dis que ce n'est pas grave. Et je lui traduis un morceau du refrain de sa chanson préférée, histoire de faire bonne mesure informative:
Je veux te voir, dans un film pornographique
En action avec ta bite, forme potatoes ou bien frites.

Elle fait bonne mesure, elle aussi, me dit qu'elle aime ça. Je lui dis que ça lui va bien. Elle s'en va. La musique, pas les textes. Elle revient. Je la rassure sur ses doutes musicaux de jeune belette germanique. Les nôtres, de jeunes belettes françaises, portent bien Tokyo Hotel en triomphe, alors... Il paraîtrait même que du coup, elles veulent toutes apprendre l'allemand. Diantre. Moi, en matière de leaders de groupes androgynes, je préfère Placebo. Rien de tel pour bien déprimer. Cent fois mieux que les gesticulations criardes de teenagers d'outre-Rhin. Quand je dis d'"outre-Rhin", je veux bien sûr dire "côté est". Désolé, j'oublie, parfois.

Aujourd'hui, on est sérieux, on travaille. On spécifie des trucs, pour des radios de tracteurs. Marre des tracteurs. J'écoute L'amour ci-dessous, pour me remonter.

I love that stuff

Qu'existe-t-il au monde de plus misérable que ce petit dimanche discret, lendemain de fête baigné encore d'insomnie alcoolisée, commencé à midi, sous une pluie discrète mais tenace et un ciel indécis? Qu'existe-t-il aussi de plus beau dans cette médiocrité célibataire, que cette possibilité simple et indéniable de rester chez soi, sans mauvaise conscience de ce fait, à aligner les choses les plus inutiles et secondaires pour en faire son emploi du temps? Genre: trier sa collection musicale, se rendre compte que MC Solaar a glissé entre Massive Attack et Metallica, en rire, simplement. Genre: rejouer deux minutes à ces vieux jeux de guerre étudiants, du temps où le prix du polygone se faisait encore lourdement sentir, puis éteindre la machine, blasé. Genre: se concentrer profondément en fixant la porte du congélateur, en espérant une illumination, rejouer Bernadette Soubirou dans sa cuisine, puis saisir la poignée et ne pas même trouver une hostie surgelée mangeable.

Et puis le ciel s'éclaircit, un soupçon de lumière illumine soudain la rue qui n'en demandait pas tant, au-dehors. C'est dimanche, on aère pour chasser cette odeur de coyote fauve qui s'est incrustée durant la semaine de vie passagère ici. Et le bruit du dimanche se fait plus insistant. Et le téléphone sonne. C'est un allemand. Le seul allemand de qui j'accepte des coups de téléphone le dimanche, s'entend. Il s'ennuie. Tu m'étonnes. Pourtant il aurait tout pour être heureux... en théorie. En pratique bavaroise... non. Alors je me rappelle la fenêtre, ce frisson d'air de tout à l'heure, je m'ébroue, je lui dis qu'on devrait sortir prendre l'air, tiens. L'idée est plébiscitée, même par sa blonde. D'aucuns s'offusqueraient du terme "sa blonde
". Rien de dépréciatif, non, vraiment: c'est bien simple, ici, pour des raisons génétiques ou politiques ancestrales, la majorité des créatures femelles autochtones sont blondes. Moins qu'en Suède, mais pas mal quand même. Il prend même l'initiative de héler son copain bulgare. Alors je suis pris au piège en raccrochant: ils vont arriver, il faut que je quitte ce pantalon ridicule mais fonctionnel, que je lisse ma fourrure, un peu, pour sortir au-dehors, dans le grand et vaste monde, mais d'abord dans une petite auto où quantités de bouteilles plastiques consignées tressautent dans le coffre au gré du tangage à chaque virage cahotant de la conduite brusque de l'autre. Jusqu'au parking devant le château et l'entrée du parc.

La foule des dimanches s'est amassé là, puis à nouveau éparpillée. Une collection de plaques d'immatriculations. Un bus, deux, déchargent quelques touristes. Un asiatique nous demande dans un surprenant allemand si nous ne pourrions pas faire une photo de lui, nous tend un appareil digital rose métallisé. Il veut faire une photo, juste, on lui explique que ce serait peut-être mieux s'il y avait quelque chose d'intéressant derrière lui, pas seulement un angle concave de la façade extérieure, décoré d'une gouttière descendante. Peut-être un peu de perspective, tout du moins. Le château, écrin géométrique et froid de quelques tentures et peintures poussiéreuses, est en rénovation. Pas photogénique. Il repart, après deux photos d'une invention approximative. Je suggère au bulgare que c'eût été plus intéressant d'essayer de convaincre ce touriste d'enlever ses chaussures pour aller dans le premier bassin du jardin pour faire une superbe photo, attendre son immersion partielle et partir en courant avec la caméra. Il me regarde bizarrement, comprend, étend ce concept qui le séduit, verbalement, durant le quart d'heure suivant.

Le parc en hiver pourrait être triste, mais non, cette boue a quelque chose de familier. Cela faisait bien longtemps, tu sais. Où je courais ici, avec Petit Coyote. Où nous chassions, père et fils, les oies cendrées, les cygnes et les dindons trapus. Là où, avec sa mère... pardon, je m'égare. Bien longtemps, en effet. Les arbres sont nus, stoïques. Les badauds en pyjama / jogging, accourent, s'étirent sur les rambardes des ponts. Au loin, un jogging fluorescent poursuit un landau, lancé à pleine vitesse sur la plaine. Des quinquagénaires agitent en rythme des bâtons de ski pour se donner un genre en marchant vite. Pardon, on me fait signe que c'est une activité de plein air très sérieuse et très physique, appelée Nordic Walking®. C'est marrant, pas beaucoup d'enfants, aujourd'hui. Ah si, là, une paire. Et là, un point de vue. Une butte, surélevée de 3m par rapport à la plaine environnante, abrite un abri de bois enluminé de graffitis pétants. La vue dont on jouit là est tellement anecdotique que ce serait du gâchis que d'y consacrer plus de temps.

Mes compagnons sont réservés, marchent en formation, échangent quelques mots, se chambrent mutuellement, enfin surtout les mâles. Moi, je n'entretiens pas de conversation. Le coyote n'est pas un animal de meute. Comme c'est une petit meute, je fais des efforts, de temps en temps, mais finalement on est bien, là, à regarder l'automne finissant en évitant les flaques. Une belle meute, criblée de problèmes de couple, d'avenir vacillant et de questions que l'on se pose, incessamment, comme si ce devaient être les dernières. Au moins, j'ai les problèmes de couple derrière moi, je me contente de pourchasser mollement et d'une conviction convalescente quelques illusions. Et je photographie les arbres. J'ai dû être un arbre dans une vie antérieure. On regarde les baraques éparses dans le parc. La meute élabore des théories, le plus souvent graveleuses et d'un niveau moindre. Je ne suis pas d'humeur, j'en rajoute juste mollement, pour faire bonne figure. Non, je regarde ces étendues, ce lointain, ces frémissements d'herbe et ces senteurs qui caressent mon museau. Je sens ce fourmillement dans mes griffes, dans mes muscles. J'inspire. Quelque chose de lointain, de passé, proche à nouveau, insaisissable, indispensable.

Non, je vous aime bien tous les deux, mais je n'irai pas manger de Plätzchen chez vous, même si vous les avez fait maison, je veux bien le croire. C'est gentil de me ramener, par contre. Non, je ne suis pas un chacal, je suis un coyote, je vous l'ai déjà dit. Le coyote est une créature solitaire (ou monogame quand cela se présente), qui suit principalement son intérêt. Rien d'autre. N'attendez rien du coyote, car à ce moment il n'attend rien de vous. Il est dans son monde, loin, comme drogué. Mais on se reverra avant Noël, soyez-en sûrs, et il serait fort possible que l'on mette ce plan pour la Saint-Sylvestre à exécution.

Voilà, ils sont repartis. Le frigo n'a pas bougé, laid par avance de vide glacé. MC Solaar est là où bon lui semble. Les Chemical Brothers dépassent du rayon. Un signe.

jeudi 6 décembre 2007

Daft Punk dans la jungle

Je parlais précédemment de l'influence positive de l'écoute attentive de Daft Punk sur la préparation des meetings stressants ou des confrontations publiques. Mon avis n'a pas changé, surtout depuis que j'écoute leur dernier album live en boucle au boulot. Jusqu'au moment où Belette stylée me demanda si, par hasard, je n'aurais pas le dernier album live de Daft Punk. A quoi je répondis d'une affirmative interrogative (si, c'est possible). Alors elle, avec des yeux de biche (ce qui n'est pas banal, pour une belette), de me demander si je ne pourrais pas lui prêter, des fois, parce qu'elle aime bien et qu'elle voudrait écouter ça dans sa Peugeot sur le long chemin du boulot... Je répondis encore d'une affirmative, cette fois-ci plus exclamative (oui, c'est possible aussi, réfléchissez). On en apprend tous les jours...

Jusqu'à présent, je considérais Daft Punk plutôt comme une musique asociale et je ne m'attendais pas à ce que les gens aiment aussi, dans une écrasante majorité, surtout la partie féminine. Alors Daft Punk, j'écoutais tout seul ou alors avec des allemands anesthésiés quand on faisait de la route en tracteur avec fonction iPod et système audio DSP 7 point quelque chose. Pour les achever, en général, j'enchaînais avec le live d'Underworld, pour qu'ils soient vraiment contents d'arriver. Après, on faisait une croix dans la case de tests du système audio en disant qu'il y avait quelques basses saturées mais que sinon c'était pas mal, pour un tracteur.

Jusqu'où va cette acceptation de Daft Punk dans la pratique? Je dois vous avouer quelque chose. Lundi, j'ai commencé le cours de danse que des amis bien intentionnés, quoiqu'apparemment mal renseignés, m'offrirent pour mon anniversaire. Pourquoi mal renseignés? Disons qu'apprendre la valse avec une allemande qui pourrait être ma mère n'était pas ma représentation idéale du cours. Bon, je n'ai pas eu de chance, parce que sur les huit cours, il y a huit danses différentes et je suis tombé sur la valse en premier. Je regarde la liste et je frémis d'avance à la case "tango". J'entends déjà des craquements de cols du fémur... Mais bon, j'apprends, c'est l'essentiel. Sauf que la valse, pour Daft Punk, comme ce n'est pas du ternaire, eh ben ça marche pas... Je demanderais bien son avis au prof, mais il a l'air trop inoffensif, alors j'attends encore quelques cours...

Ça aurait d'ailleurs pu plus mal commencer puisque, arrivant au cours, je fus accueilli avec un grand sourire par une créature de petite taille et très certainement homosexuelle. J'évitai habillement la méprise, je ne sais plus comment, mais je ne l'ai plus revu. Et puis après j'ai un peu déprimé parce que les gens arrivaient deux par deux, comme sur l'arche de Noé et je me voyais déjà comme une espèce en voie de disparition jusqu'au moment où un monsieur bien habillé m'a dit avec un sourire Tonigencyl que là, c'était le cours "techniques avancées" et que moi, j'étais au cours "débutants" qui a lieu dans la petite salle à l'autre bout, bien qu'également décorée de miroirs muraux et de trucs qui tournent en faisant de la lumière accrochés au plafond. Là, j'arrive et youpi, je suis tout seul avec une Gudrun d'occasion fournie gracieusement par le cours pour que j'apprenne. Et bien sûr, je fais plus d'une tête de plus qu'elle. J'ai bien inhibé, ce soir-là, mais je pense avoir appris quelques choses, certes pas encore utilisables dans la pratique, mais c'est un investissement.

Alors en attendant, Daft Punk, c'est toujours un mouvement stochastique en levant les bras, ça suffit, après tout, dans la jungle...

mercredi 5 décembre 2007

Noël, Noël

Ah, Noël à Munich!... Cette odeur rafraîchissante de vinasse chaude et épicée aux coins de rue. Et on se coltine des saucisses chaudes avec des frites et des Lebkuchen (pains d'épices?), fendant la populace légèrement alcoolisée pour atteindre les comptoirs surpeuplés des chalets des marchés de Noël.

L'autre soir, atteint de socialite aigue, je me laisse emporter vers Tollwood. Tollwood, c'est un festival local, deux fois par an ou à peu près. On rentabilise le champ de l'Oktoberfest ainsi, même si ça prend beaucoup moins de place. Festival, ben euh... ouais, ils chantent, des fois. Sinon, c'est un alignement extérieur de chalets identiques à ceux susdits, qui offrent alternativement les mets et boissons susdites, avec cependant une étiquette "Bio" proéminente. Entre eux des collections de bonnets péruviens tricotés-main, des choses en bois indéfinissables, des bougies roulées main et des collections d'encens et autres herbes aromatiques, parfois même (mauvaise langue) répréhensibles.

Dans les halles, la même chose, mais en plus chaud. Au-dehors, effectivement, le froid, la gadoue, les graviers et les relents subtils du passé (deux mois auparavant, des hordes de plus ou moins humains y avaient restitué leur bière, d'une manière ou d'une autre). Dans les halles, le même ramassis de cochonneries hippies que l'on ne saurait offrir qu'à son pire ennemi ou à la famille éloignée, et encore. Ou alors sur eBay à des personnes, très très loin. Et puis des produits locaux. Des vins de machins divers. Imbuvables. Des savons aux parfums divers (crotte de chèvre, lavande, bière), aux formes diverses (rond, pas rond, avec des angles), aux tailles diverses (voyage, famille, collectivité locale). Je force le trait. Pas trop. Bref, pas mon truc. Mais il y a beaucoup de belettes, si.

Après avoir évité le piège de la musique des andes (donc à base de flûte de pan des roseaux du Titicaca), on se retrouve à boire un truc bio, chaud et alcoolisé. Non, ce n'est pas contradictoire. Nous goûtâmes donc un inoubliable punch au sureau bio. Youpi. J'en fais encore des loopings de joie, rien que d'y penser. Heureusement, il me restait un bon rouge espagnol à la maison. Socialement, c'est insignifiant. Ai-je évoqué qu'il y a beaucoup de belettes? Il y aurait peut-être un potentiel à creuser...

A propos de belettes, j'ai découvert hier, en compagnie de mon ami renard crispant, un nouveau point d'eau fort intéressant de ce point de vue. "Pasta & basta", ça s'appelle. Ah ben oui, tiens, effectivement. On mange des pâtes ou des pizzas, à un prix défiant toute concurrence. Et puis à propos de belettes, encore, si je reprends belette stylée à observer mon derrière comme ce matin, je vais me plaindre au chef, moi. C'est vrai, quoi, je ne suis pas un objet...

lundi 3 décembre 2007

De l'importance de la bande-son

Comme la plupart des autres autistes numériques, il m'arrive, souvent, très souvent parfois, de parcourir les tunnels et les voitures du métro, puis les rues attenantes, avec des écouteurs discrets dans les oreilles, pour atténuer les bruits de vie environnante. C'est un phénomène courant, ici, de toute manière. Et ce n'est pas dangereux tant que l'on entend encore les voitures arriver.

Certes, du point de vue de l'ouverture sociale, cela laisse encore à désirer. Ceci étant dit, même autiste numérique, je laisse encore ma place assise aux nécessiteux estropiés ou débiles dans le métro. Samedi même, alors que je me dirige vers mon appartement après un long combat dans la mer humaine des week-ends précédant Noël, arrive la station HBf. Je suis monté avant, pour éviter le flot et subséquemment, je suis assis sur mon postérieur sur les sièges en bois latéraux, ceux qui font tant pour le maintien des contacts humains en phase d'accélération et de décélération. A HBf, donc, ils se ruent, tous, comme des sauvages, vers les quelques sièges libres, prêts à bousculer quiconque serait sur leur chemin pour cette maigre contrepartie. Une femme d'âge avancé quoiqu'indéfini, reposant sur deux béquilles, se traîne péniblement jusqu'au milieu de la plate-forme alors que tous, fusant autour d'elle, ont déjà trouvé leur place. Et ils font mine de ne pas l'avoir vue, expirant bruyamment leur effort physique soudain ou dépliant un journal-paravent. Alors bon, je me lève et je lui laisse ma place. Bien sûr, elle est trop fière pour m'en remercier, grommelle quelque chose d'indéfinissable, de guttural et s'assied. C'est inouï le nombre de gens fiers qui pourraient passer pour impolis, dans cette ville. Heureusement, je les connais, je ne m'en formalise plus trop. Le moment drôle furent mes trois stations restantes de contemplation narquoise des petits satisfaits courbés précédemment cités, qui s'enfonçaient encore plus derrière leur journal ou observaient benoîtement les textures du tunnel, derrière la vitre. Le tout sur un fond de house électronique savamment mixée par Sister Bliss. Mais ça, ils ne le savaient pas.

Depuis le décès tragique de mon iPod suite à une glissade rédhibitoire sur la poche arrière, je m'étais refait une raison, sociale celle-ci. Et puis non, parce que le métro munichois sans compagnons d'infortune ou écouteurs, c'est déprimant. Alors j'utilise mon téléphone portable, qui a un bon son, d'ailleurs. Avec des écouteurs, pas à la teenagers groupés qui écoutent leurs échantillons sur le haut-parleur externe au milieu du wagon en alternant les "Krass", "Geil" et autres interjections étrangères caricaturales. Ils sont assis en groupes, affalés, les jambes bien écartées (les mâles), recomptant leur clinquant (les femelles), discourent de choses et d'autres, surtout d'autres, agrémentant leur platitude d'un fondu R'n'B strident et saturé par le haut-parleur microscopique et poussif. Puis s'envolent d'un coup, volaille impulsive, pour se précipiter hors du wagon en criaillant et poursuivre la représentation sur le quai alors que le groupe se rassemble. Je fais l'impasse sur tout ça en écoutant ce qui passe, Underworld, par exemple.

Faithless le matin, Underworld le soir. Et vice-versa. Les éternités de céramique froide passent plus rapidement, plus sereinement sur les synthés entêtants, les yeux atones des compagnons de train n'en sont pas plus lumineux, non. Hypnotisés matinaux, les zombies restent neutres, à moins que l'on ne les provoque. Mais pour l'imprévu, il faut toujours avoir une collection variée à portée de main. La foule s'amasse, se presse, il est temps de passer à quelque chose de plus conséquent, on augmente le bpm. Et ça marche. Combien de fois les Chemical Brothers ou Prodigy m'ont-ils sorti d'un mauvais pas? J'ai sûrement froissé quelques fiertés à ces occasions, mais qu'importe, je ne leur en veux pas. La ville, le samedi, c'est la guerre, alors il me faut des tam-tams...

Pour préparer les rendez-vous, même tactique. Un client difficile en vue ou une négociation salariale: Daft Punk. Une femme: Everything but the Girl. Un ami de trente ans: Oasis. Et mille autres variations. Mais ma dernière trouvaille est assez efficace. Dans le métro atone des matins et des soirs sans lumière, écoutez des trucs vraiment rigolos. Les autochtones seront déstabilisés par votre hilarité déplacée. Ils vous regarderont comme une bête curieuse mais seront désarmés. Non, ils ne vont pas se remettre en question, bien sûr. Alors moi, certains matins, j'écoute les réquisitoires de Desproges, rafraîchissants de leur mauvais goût outrancier et leur finesse verbale. Un truc qu'ils (les zombies métroportés) ne peuvent pas comprendre, surtout ceux-là. Cassés.

jeudi 29 novembre 2007

Ils aiment leurs enfants, eux aussi

Chaque visite à Budapest me replonge dans les mêmes pensées. Budapest est pour moi une ville triste. D'accord, c'est mon histoire, ma petite variante personnelle, pas l'Histoire avec un grand H. Mais subjectivement, je trouve Budapest déprimante. Pourquoi? Budapest est pourtant une grande ville, une capitale, un lieu chargé d'Histoire. Ceux qui y vont en reviennent enthousiastes, dépaysés, parfois dithyrambiques. Ils sont des flopées à voyager dans cette direction, sac à dos et guide étranger, je les vois dans le train de nuit, passent 2-3 jours là avant de continuer, vers l'est ou vers l'ouest. Alors quoi, suis-je aveugle, à jamais terni dans mon Europe centrale? A ceux à qui je dis que j'étais récemment à Budapest, qui alors le regard illuminé et souriants me retournent: "Et c'était bien, hein?", je réponds un faible "Oui...", sans fioritures, sans enluminures, froid, je ne peux pas faire autrement.

Pourtant, là-bas, il y a mon Petit coyote, des collines, la possibilité de hurler à la lune en chœur ou de courir en haut, en bas, au bord de la rivière. Mais ça, on pourrait le faire n'importe où. Alors là-bas, qu'est-ce que je vois? Un délabrement triste, une décadence immobilière, un sentiment gris de survie combattante. Des contrastes, trop de contrastes. Quand je suis là-bas, je ne fais que passer, j'atterris dans les beaux quartiers, ou ce qui s'en rapproche le plus. Mais les maisons neuves et imposantes, cernées de portails électriques et de luxe bétonné, côtoient toujours de bas immeubles à la couleur ternie, où le hall d'entrée sent le gaz et aux intérieurs modestes, bien que fonctionnels. Les petits vieux courbés serrant leur cabas sont ici aussi, a côté des limousines étrangères. Le parvenu aura un tracteur, modèle Porsche toutes options, pour gravir les rues lentement délabrées des collines, à toute vitesse, il ne faudrait pas perdre leur élan. A côté, on trouvera des modèles plus modestes de petites voitures japonaises, protégées cependant par des cadenas sur les volants.

Car les portes d'entrée sont rarement dénuées d'un surnombre de serrures ou d'une installation d'alarme clignotante. Ceux qui n'en ont pas ont un chien. Beaucoup de chiens, ici. Au regard de la modestie des installations intérieures, que je peinerais à qualifier de multimédia, je me demande ce que cherchent les cambrioleurs, ici. Une occasion, juste une occasion. Il n'y a pas d'écran à plasma ni de home entertainment server Dolby 9.2 derrière cette porte, juste un modeste micro-ondes, une machine à laver, une radio, une télé modèle 1995. Le luxe est illusoire. Beaucoup s'installent des semblants de colonnes en marbre ou de cabines de douches perfectionnées, multijet massant etc. Ce qu'il en reste six mois plus tard est désespérant, la porte en verre de la douche est sortie de son rail, ferme à peine. Le robinet reste dans la main à toute tentative de le tourner. Les colonnes de marbre changent de couleur, se décollent. Les signes d'une capitalisation trop urgente, trop rondement menée par certains sans scrupules?

Les habitudes de consommation de l'ouest sont hors de place ici. Le capitalisme ne passe pas vraiment. Le sentiment d'un adolescent grandi trop vite, trop soudainement, à qui il manque maintenant dix centimètres de longueur de pantalon et décide de s'habiller deux tailles au-dessus pour compenser. Je ne leur en veux pas, pourquoi devrais-je? J'ai juste ce sentiment triste, parfois. Et je me demande si, d'une certaine manière, ils n'étaient pas plus heureux, avant. Ils se le demandent, eux aussi. Pourchasser des rêves qui ne sont pas les leurs, cependant dictés par les médias et une globalisation galopante, n'est pas une situation enviable.

Le long de la voie ferrée, je vois, au milieu du paysage, ce que mon arrogance précieuse d'occidental gâté nommerait des semblants de bidonvilles. Au centre, derrière les palissades des chantiers permanents, beaucoup dorment dehors. Les façades lépreuses tachées de rejets de gasoil tentent de faire bonne figure. L'Histoire était là, l'Histoire est repartie, reviendra peut-être visiter un peuple soudain orphelin, abasourdi. Ils s'amassent dans des bus archaïques, qui feraient frémir tout Grenelle de l'environnement. Cela ne leur fait ni chaud ni froid, ils y sont habitués. Qui suis-je, pour les juger? Exilé de la confortable quiétude sécuritaire et élitiste de mon village bavarois, un pays qui n'est même pas le mien, non plus? Ils vivent ici, ils sont comme nous, en définitive. Ils lisent des livres, s'intéressent pour la politique, pleurent à la fin d'"Autant en emporte le vent", payent des impôts, ont une vie salairée, une famille, des enfants. Ils aiment, aussi, surtout. Feraient tout pour leurs enfants, également emmitouflés de bonnets tricotés et d'écharpes bariolées, comme leurs voisins, courant dans la neige avec cette joie lumineuse et le temps qui n'existe plus, alors.

A la recherche de l'humanité, j'ai rencontré beaucoup qui seraient volontiers humains. Je n'en suis pas, j'ai accepté ma destinée (r)évolutionnaire. Je les regarde, de l'extérieur, impassible et impartial. Des petits paysans parvenus étriqués du sud-est de l'Allemagne et des hongrois abattus, j'ai fait mon choix. Car comme le chantait Sting, il y a longtemps, à d'autres époques, depuis révolues, les hongrois aiment aussi leurs enfants. Peut-être plus qu'ici. C'est ma damnation, c'est une chance pour mon Fils.

mardi 27 novembre 2007

Je l'achèterai pas, votre chocolat

Lundi matin, tôt. Descendant du train, je me dirige, vivement, vers le métro. Je traverse le hall de la gare et je passe sous cette publicité. Oui, cette publicité illustrée ci-contre dans une photographie approximative faite ce soir à l'aide d'un téléphone mobile-lecteur mp3-appareil photo numérique-etc qui n'en demandait pas tant, au point que je dus appeler Gimp à l'aide en rentrant pour en faire quelque chose d'à peu près lisible. Cette publicité qui, vous l'aurez deviné, eut en ce lundi matinal un effet plutôt repoussant sur ma personne, voire crispant. Je ne sais pas ce qui me crispe le plus, dans cette image somme toute anodine et qui ne ferait guère lever la tête au million de voyageurs qui passe ici (et en a vues d'autres).

1) Le calembour stupide en allemand, tellement stupide que rien que d'y penser j'ai envie d'avaler un blaireau ou de fourrer ma tête dans un tonneau de bière pour une apnée alcoolisée suicidaire. Ahah. Rum. Rum. Ahah. A noter que le rum (ndlr: rhum, pour les francophones fiers qui ne s'abaissèrent pas à fourrer leur langue dans un dialecte guttural paysan) sans majuscule est une contraction de herum (ndlr: autour, dans le sens ici de "bien voyager", pour les mêmes, à qui je renouvelle mon respect vespéral), mais ça, tout le monde s'en fout. C'est pourtant le ressort comique de cette image, sa raison d'être (vous en verriez une autre?). Un comique donc basé sur le double sens (vous me suivez...), léger, pour la route. Tout le monde peut comprendre, entre le sudoku de train régional et les workshops de midi.

2) La mine réjouie de l'autochtone femelle qui brandit son carré de chocolat. On pourrait discuter sur l'origine de ce sourire et prétendre qu'il serait légèrement crispé, peut-être à cause de quelque action surprenante ou inattendue se déroulant en-dessous de la ligne de démarcation inférieure de l'image (une zone donc au possible érogène et/ou sensible, puisque la partie supérieure ne l'est de toute évidence pas). Je ne vois sinon pas de raison de s'extasier sur la présence verticale d'un emballage de chocolat au rhum dans ma main droite. A ce point de saillie ostensible des veines du cou, moi, en tant que coyote et donc prédateur qui connaît ces choses-là, je vous le dit: elle attend le coup de grâce. Je passerai sur l'effet inérotique des lunettes en bakélite. Ne vous y méprenez pas. Je suis un fan de brunes à lunettes, oh si. J'ai un faible coupable pour celles-ci (j'en ai même eu dans ma famille). Mais là, non. Je voudrais pouvoir refermer la page du magazine pour lire autre chose, un reportage sur les petits enfants faméliques et étrangers qui sont tristes à l'approche de Noël, une interview de George Bush discutant Schopenhauer, que sais-je? Et je réalise que ce n'est pas une page de journal, que c'est une affiche géante qui pendouille au-dessus de ma tête et qu'il n'y a que ma tête que je puisse tourner, hélas, pour échapper à l'effarante et implacable attraction du vide.

3) Josiane (je l'appellerai Josiane, par bonté d'âme et pour oublier le fait pesant qu'elle soit domiciliée à l'est du Rhin, donc du même côté que moi) porte un polo. Pour les myopes et malvoyants, je préciserai que ce polo rouge pétant porte la mention "Ritter Sport Freunde". Les amis de Ritter Sport (Ritter Sport étant la marque productrice de ces chocolats dont la seule audace est l'empaquetage carré). Qui, je vous le demande, porte avec le sourire un polo des amis d'une marque de chocolat? Un membre du groupe des amis de la marque de chocolat! Bonne réponse de l'adresse IP 192.xx.xx.xx, qui recevra un abonnement gratuit à Bild de trois mois en récompense pour sa vivacité intellectuelle, qu'il ne faudrait surtout pas laisser retomber, maintenant qu'elle a atteint des sommets. Le simple fait qu'il existe une association des amis de cette marque de chocolat et qu'ils portent haut et fort les polos vermillons et ostentatoires de celle-ci devrait être une raison pour l'exclusion de l'Allemagne du cercle des pays (soi-disant) développés.

J'espère que les responsables de cette campagne de pub cuisent depuis en enfer. Ah mais non, je suis bête, ils y sont déjà. Moi aussi, d'ailleurs.

Paracétamol effervescent

C'était clair, dans le train de nuit, je me suis enrhumé. Comme si ça ne m'arrivait pas à tous les coups. Je le garde sous contrôle (le rhume) en l'assommant à coups de paracétamol, régulièrement. Avant, en France, c'était bien. Un bon coup de paracétamol effervescent, tout allait mieux. Ici, c'est pas pareil. Le paracétamol est de base en boites non effervescentes (les pastilles), rondes et dures, non solubles. Frustrant. Il faut commander la version effervescente séparément, à la pharmacie. Plusieurs fois j'ai essayé, plusieurs fois ils n'en avaient pas et la pharmacienne de me faire son oeil langoureux pour que je prenne la version normale. Alors je fus faible, et puis non, finalement, il y a quelques mois, je lui ai dit que j'irais en chercher ailleurs si elle n'en avait pas, ce que je fis.

Dans la pharmacie du bas, remplie de top-models, enfin, n'exagérons rien, de jeunes filles sympathiques, j'ai commandé du paracétamol effervescent. Dosage 500 (la réalité chimique de ce paramètre m'échappe, moi qui n'ai jamais aimé la chimie, sauf peut-être les travaux pratiques, et encore). Elle m'en donne, avec un sourire qui m'aurait presque fait acheter un quintal de boites supplémentaires. La boite n'a pas la couleur française, mais l'emballage me semble honnête. Et puis je teste. Déception. En plus de ne pas avoir le goût authentique du paracétamol de mon enfance, il met un temps infini à se dissoudre, effervescent ou pas. C'est mieux que pilonner la version compacte standard, certes, mais pas loin d'être aussi frustrant. Trois minutes, cinq minutes, je ne compte plus le temps. Je suis polyvalent, je fais plusieurs choses en même temps, en espérant que je ne verrai pas le temps passer, occupé. Non, ce stupide disque plat blanchâtre fait de la résistance. Secrètement, je le hais. Enfin, éventuellement (comme diraient nos amis anglophones), demeure le verre de départ, l'eau originelle agrémentée de quelques bulles et une discrète bruine sur les rebords dudit verre et alentours.

La dégustation est frustrante. Le goût, aseptisé, trop doux. L'impression de boire de la vitamine C diluée, pourtant sur le tube, point de trace. Bref, décevant. Du coup, sans placebo surchargé, le rhume dure plus longtemps. Merci, hein, vraiment, merci. Enfin bon, au moins, pour une fois, ils ne m'ont pas proposé un substitut à base de plantes. Dans ce cas, je préférerais aller me les chercher moi-même, mes orties fraîches.

lundi 26 novembre 2007

Retour à Budapest

C’est avec neutralité que je retrouve Budapest. En sortant de la gare, je réalise, je me dis qu’effectivement, cela faisait bien longtemps que je n’avais été ici. Relatif. 5 semaines. Pas grand-chose, en fait. La dernière fois, j’avais dormi chez le grand-père du Petit, histoire de calmer quelques soucis familiaux, mais non.

Samedi matin, je retrouve la sortie de la gare, les façades, le trafic, des palissades toutes neuves là où autrefois l’on prenait le métro. J’essaie de négocier avec un chauffeur de taxi qui ferait peur à une bonne sœur
et prétend que le tarif, pour là où je souhaite me rendre, est le double de ce que j’ai payé jusqu’à présent, voire même plus que le tarif de nuit normal. Je lui dis d’aller mourir, son collègue est plus conciliant, mais ne descend pas en-dessous du tarif de nuit. En conséquence, le cœur léger, je pars vers la nouvelle station de métro. Je me confronte à une machine très bête qui ne connaît pas la moitié des différents tickets et me rend, pièce par pièce, un gros billet. Muni de tickets approximatifs et d’un kilo supplémentaire en alliage nickel-quelque chose, je poursuis cependant ma descente vers les quais.

Le métro est pareil à lui-même, bien différent de celui de Munich. Mais fiable. Et plein de belettes, qui malheureusement me laissent froid du fait de certaines particularités géographiques (j’ai déjà donné). Je change de métro, trois stations plus loin. Puis je descends du métro, gravis un escalator impressionnant pour me retrouver à attendre un petit bus ridicule qui ne passe que toutes les demi-heures et se borne, en ce samedi matin, à transférer sans trop de cahots les retraités locaux sur le chemin du marché. La machine à faire des trous dans les tickets, dans le bus, refuse obstinément mon offrande. Je lui dis aussi d’aller mourir (deux fois en moins d’une heure, la journée commence bien, décidemment). Auréolé de gloire étrangère et de rébellion futile, je descends du bus, enfin. Le portail, la sonnette, la routine, quoi. Le Petit est content de me voir. Sa mère… oui, sa mère… j’arrive à en faire abstraction. Le barman est en France, je me demande secrètement si elle n’aurait pas quelqu’un à visiter, d’ici dimanche soir.

Ce dimanche matin, il pleut. Sur la butte, vue plongeante sur le Danube et les hauts-lieux touristiques, le parlement, le pont des chaînes, le bastion des pêcheurs et même ce promontoire rocheux, plus loin, dont j’ai oublié le nom, sur lequel trône un monument soviétique (sans doute) du plus vieil effet. Il pleut, d’ici, le Danube est une masse de brouillard impénétrable. La ville est calme, seul le bruit de la circulation humide. J’essaye de montrer au Petit, il ne s’intéresse pas trop, il préfère le chien qui aboie, en contrebas du point de vue, à côté de Gül Baba. Je vois les toits de Buda, ardoise et tuile mêlée, scintillants dans la bruine. Je me rappelle une autre ville, bien plus loin, bien plus tôt, où j’aimais regarder les toits brillants sous la pluie. Une vie antérieure. Je me souviens aussi, étrange, de cette vue sur le fleuve de la terrasse du château, je pense que c’était à Chaumont-sur-Loire, je ne sais plus, ma géographie m’a quittée.

En cet instant, Budapest me paraîtrait presque habitable, ne serait-ce ce passif… Une ville où il pleut ne peut pas être foncièrement mauvaise. Plus haut, à côté du monument à un gars représenté tout nu, qui devait être drôlement brave à en croire les drapeaux, je hisse le Petit sur un dossier de banc, pour lui montrer le parlement.

Plus tard, la nuit est tombée. L’Est, c’est nul : il est 17h et il fait nuit noire. Pour la troisième fois en deux jours, un autochtone me demande le chemin. Pour la troisième fois en deux jours, j’explique que je ne parle pas la langue vernaculaire. Je ne leur dis pas d’aller mourir, non, j’ai ma dose pour le week-end, je suis serein. Mais il fait nuit. Une cloche sonne. Le Petit me demande ce que c’est et en l’espace de quelques minutes, je me retrouve pris au filet inextricable des ses questions, prêt à philosopher avec lui sur le fait que la religion catholique ne soit pas très favorable aux femmes dans des positions de sacristain. Argh, il m’a eu. Mais bon, ca fait plaisir. Alors on regarde la lune, ensemble, on hurle un petit peu, pour le principe, entre coyotes, on est contents. Puis le temps passe. Il est temps de rentrer, retrouver mes destinées germaniques. Allons, allons.

23 heures et quelques, le train de nuit. Des coups à la porte du compartiment, un essai frénétique d’ouvrir en agitant la poignée. Mon voisin du dessus étend le bras pour déverrouiller. Moi, de la couchette du dessous, je vois juste une paire de bottes bien raides et j’entends: « Passkontrolle ». C’est beau, on se croirait dans une reconstitution historique. En tendant ma carte d’identité à la paire de bottes anonyme, je pense qu’il n’y a pas de hasard et qu’effectivement, au regard de ces particularités toujours très présentes, ils étaient faits pour s’entendre avec leurs voisins de l’ouest, il y a presque 70 ans. La paire de bottes s’éloigne, essaie de refermer la porte du compartiment d’un geste brusque et martial, manque de veine, elle ne s’enclenche pas. Alors la paire de bottes s’énerve un peu, réussit finalement après plusieurs essais puis s’éloigne, va frapper à d’autres portes avec toujours cette élégance subtile et pleine de distinction, animée sans doute par un secret rêve moîte de lourdes portes coulissantes en bois et de regards résignés dans la pénombre glaciale. Je pense à un slogan, genre « L’Autriche, l’autre pays du fromage » ou équivalent et j’essaie de m’endormir, dénué cependant de toute haine.

L’américain de la couchette du haut essaie d’argumenter dans sa discussion avec le hongrois du milieu que ce ne serait pas très sûr d’éteindre la lumière du compartiment. Le hongrois insiste, dans un anglais très approximatif, qu’il voudrait dormir. Point. L’américain ne trouve pas ça sûr et avance que s’il devait quitter précipitamment sa couchette, ce serait drôlement dangereux, il pourrait tomber, rendez-vous compte… Il répète tout le temps la même chose. Alors je glisse ma tête hors de l’ombre et lui fais remarquer, gentiment mais fermement, qu’il a une liseuse à côté de sa couchette et n’est donc pas dans le noir en cas de besoin. D’autant que la lumière du compartiment a une position veilleuse. Alors il dit « okay, okay » Et tourne le commutateur. Dans la pénombre nouvelle, je vois alors soudain une autre source de lumière qui se superpose à la liseuse supérieure. L’américain a sorti une lampe de poche et inspecte les alentours. Après un bon quart d’heure de lumière sans son, sans doute rassuré, il éteint. Celle-là, on ne me l’avait jamais faite. Le petit déjeuner, à 5h30, est composé de sandwiches triangulaires au salami. Merci, vraiment, il ne fallait pas. Munich approche et un dépôt blanchâtre court le long des voies. A l’arrivée, les néons blafards de la gare et le début d’une nouvelle journée, où il me faudra, par nécessité, ingurgiter quelques cafés, même si je n’aime pas ça. Le café n’est pas un truc de coyotes.

vendredi 23 novembre 2007

Pas romantique

Le monde actuel n'est pas propice au romantisme. On le cache, il gène, il est déplacé. Surtout ici. Munich n'est pas une ville romantique. J'y ai cru, un moment et puis... pouf, plus rien. On me dira, avec raison, que c'est un état d'esprit, que tout lieu s'y prête, pour peu que l'on soit dans les bonnes conditions ou pas trop maladroit. Peut-être, je connais un canal qui passerait bien, c'est vrai. Mais c'est une exception. Le reste est juste hostile et froid. Et puis quand je rentre le soir, dans ma tanière, juste pour dormir et que seule l'odeur de renfermé le dispute à l'épaisseur de la couche de poussière et au vide sidéral du garde-manger, je ne suis pas nécessairement habité de sentiments positifs.

Parfois, j'observe les autochtones. Leur forme de romantisme semble se borner au recueillement commun devant des écrans de téléphones portables, au partage de litres de bières sur des bancs en bois en mangeant des trucs gras et à l'assignation ostensible de petits noms doux, mais étrangers, tels que: trésor, moineau, toiha (remarquez l'intonation et le redoublement vocal final, en allemand dans le texte: douhou) ou [insérez un nom d'animal ou neutre ici]-chen. Le tout avec une emphase de bon goût. On me dira que je suis frustré et que de ce fait je ne suis pas à même d'apprécier cette inoffensive légèreté qu'en secret sûrement j'envie. Dieu m'en préserve (s'il existe). On dira ce qu'on voudra, mais tout du moins l'écueil des petits noms germaniques, je l'ai bien évité. Et je ne suis pas pour, dans le futur. C'est vrai, quoi, je suis un combattant, un résistant, un carnassier. Je ne vais pas me laisser appeler grand coyote-chen aussi facilement. Je suis contre, ce serait humiliant. Quoique, il n'y a pas si longtemps (enfin si, quand même), j'étais un chaton hongrois, mais c'était dans une autre vie, maintenant je suis fort et inflexible (hein, dis, hein?)...

Bref, Munich n'est pas romantique. Le spectacle de paysans alcoolisés urinant de concert dans des buissons à l'Oktoberfest ne l'est pas. Les danses piétinantes traditionnelles avec des blaireaux sur la tête ne le sont pas. Et les seuls endroits de ce lieu maudit qui pourraient s'y prêter sont fatalement empesés de la présence de personnes à la recherche de leurs limites physiques plutôt qu'intellectuelles, à pied, à vélo, en surf, poussant des poussettes biplaces, discutant bruyamment les sujets futiles de leurs vies misérables, les impôts, les assurances-vies et leur ascension sociale homéopathique. L'ennui en monochrome.

Les façades grises et rectilignes sont froides et étouffantes. Quand on demande aux locaux ce qu'ils aiment dans cette ville, ils répondent souvent: "la proximité des lacs et des montagnes". C'est-à-dire que ce qu'ils aiment, dans cette ville, c'est son extérieur, où il rêvent de passer leur temps. Et sinon ils planifient leurs vacances en paquets largement proportionnés de dépaysement extrême et le plus lointain possible. Et je vais aux Canaries, et je vais faire du trekking au Népal et je vais gambader dans la forêt au Canada, youpi, youpi, pourvu que je sois loin. Etonnant, non?

Un jour, j'ai vu un couple de résistants, ici. Un mâle, une femelle, allemands. Ils avaient eu cette idée douce de monter à deux sur le même vélo et de rouler ainsi, sur la piste cyclable (pas trop rebelles quand même). Ils en étaient presque mignons. Et puis ils se sont fait arrêter par la police. Mon pote italien et moi, qui suivions sur nos montures respectives, n'en revinrent pas. Ils ont dû payer une amende, sans doute pour mise en danger de la vie d'autrui et insouciance coupable. Il est vrai que le seul équivalent, en niveau de romantisme, à un policier allemand doit être une brigade anti-émeutes indonésienne.

Bref, ici, c'est pas propice. Putain, merde, qu'est-ce que je fous ici... Je voudrais partir, mais j'y arrive pas. Habité toujours de chimères, je poursuis encore, maladroitement, une arlésienne.

jeudi 22 novembre 2007

Dans le métro

"Dans le métro, il fait chaud", disait un notable homme politique français, bien qu'à la destinée brisée. C'est un des avantages certains du métro de Munich, l'air de rien, lorsque l'air d'hiver se rafraîchit au point de rendre nos expirations palpables et nos extrémités rouges. Mais il en a plein d'autres. Des défauts aussi. Exposons-les.

Il est rarement en grève. Les conducteurs munichois de métro sont apparemment beaucoup moins vindicatifs que ceux de notre capitale, qui plus est engoncés dans des structures de négociations beaucoup moins improbables que les nôtres: en gros, on ne fait pas grève quand on veut, c'est coordonné pour être efficace, beaucoup plus efficace (allemand, quoi).

Par contre, niveau fiabilité, on se demande. Certes, de temps en temps, un malandrin égoïste se jette brutalement et bruyamment devant une motrice, avec pour seuls résultats un retard conséquent pour les personnes de la rame et des stations suivantes, qui le maudissent en silence et une myriades de petits bouts de chair sanguinolente qui collent et que l'ont devra travailler au karcher, c'est vraiment pas un boulot, sans compter le soutien psychologique post-traumatique dans un rayon de 5 mètres de l'impact. Mais la plupart du temps, le métro se met en retard tout seul, par pure incapacité technique, en particulier quand il fait froid dehors, même si on est enterré dans des tunnels. Voyons cela positivement, cela facilite les contacts humains, si. Sentir le parfum de ma voisine à la source et partager la musique de mon voisin tout en lisant le journal du gars devant, massé par le sac-à-dos du gars derrière, est un bonheur rare que je souhaite à tous. Bon, on ne se roule pas des pelles, mais c'est une grande famille.

Niveau équipement, il y a deux types de rames. Les anciennes, fonctionnelles, toujours, quoique foncièrement quadratiques. On peut s'asseoir, parfois, dans l'une des six voitures et goûter la compagnie du peuple sur des banquettes en skai brun du plus bel effet, devant le contreplaqué plastifié du plus pur style années 70. On s'y fait, d'ailleurs, il y a beaucoup plus de place que dans d'autres modèles de métros, ne serait-ce que nos capitaux nationaux. Et puis il y a les nouvelles rames, genre monorail lego des belles années (les miennes), tout d'un bloc avec des soufflets entre et un nouveau concept d'occupation de l'espace, i.e. beaucoup plus de possibilité d'être debout qu'assis, ce qui, au regard de la population grandissante de grabataires en devenir, me semble un choix à la limite du judicieux. Les places assises (enfin, la moitié d'entre elles), sont placées longitudinalement, ce qui permet un partage beaucoup plus poussé des phases d'accélération et de freinage avec ses voisins d'infortune (à 45€ le mois, quelle chance). Mais c'est drôlement mieux, parce que les portes sont commandées par des touches sensitives qui laissent parfois les gens perplexes et les trajets sont bercés de la voix suave et enregistrée de l'annonce de la prochaine station et des correspondances. C'est presque beau. Dans les anciennes rames, c'est Günther le chauffeur qui scande les stations de son accent bavarois et nous dit qu'il faut qu'on reste en arrière (sinon il nous arriverait des choses terribles avec la porte qui justement se referme , diantre!). Il dit aussi les correspondances, quand il s'en souvient, sinon parsème parcimonieusement son trajet de quelques blagues, aussi, malheureusement le plus souvent incompréhensible du fait de l'accent mâchouillant (ou de l'absence totale d'humour, chaipas, je suis pas, en général).

Sinon, quand le métro s'éternise pour des raisons déjà évoquées plus haut, eh ben il y a des annonces sur des haut-parleurs dans les stations. Drôlement bien, les haut-parleurs. Qualité dolby thx surround 9.2, au moins. Tellement qu'on se demande d'où vient l'annonce et surtout, ce qu'elle veut bien pouvoir dire. Mais pour les reconnaître, il y a un gong, juste avant. Avant, le gong était sobre, discret, efficace. On savait tout de suite que le gars allait marmonner des choses désagréables, juste après, genre: on est vraiment désolés, mais on sait pas quand le métro ligne [insérer ligne attendue ici] direction [insérer direction souhaitée ici] pourra à nouveau circuler suite à un problème mécanique complètement rédhibitoire quant à la circulation future dans les temps qui viennent que c'est pas la peine d'attendre, on vous aura prévenus. Mais maintenant, le gong est changé, c'est un nouveau. Je ne m'y suis toujours pas habitué, je ne réagis plus. Le nouveau gong sonne à peu près comme les messages quotidiens des Galeries Lafayette: dong-ding-ding grande promotion au rayon chaussettes, la deuxième demi-paire à moitié prix! Alors forcément, on ne peut pas le prendre au sérieux, surtout quand le gars annone, d'une voix monocorde bien que compréhensible, une liste stupéfiante de problèmes techniques insoupçonnés (il y a une chaudière, dans une motrice électrique?).

Et sinon le métro, c'est la pub. Il faut bien s'occuper, dans les stations de métro. On pourrait lire Bild ou ses clones, à la rigueur écouter son iPod ou faire semblant de lire un vrai livre. Heureusement, avant de se poser cette question, on peut se reposer en lisant la pub sur les murs des stations et des wagons, ainsi que les écrans d'images mobiles qui racontent des histoires d'un extérieur si lointain qu'il en est hypothétique. Il y a les pubs pour les restaurants, les chirurgiens dentistes qui ne font pas mal car zen à base de plantes, les conseillers financiers qui veulent votre bien (quels humanistes, ceux-là), les offres d'emploi pour changer son boulot parce que finalement, son boulot, c'est un produit comme un autre, soumis à la concurrence, donc il faut changer pour être "in" et s'assurer que l'on a toujours le mieux, le plus efficace, le plus rentable, que l'on en serait presque heureux de le faire. Pour ceux qui hésitent, paf, un titre de docteur par correspondance, ça vous irait? Ou alors une assurance vie/vieillesse/retraite, vous avez juste 20 ans, il est temps d'y penser, pour les autres, c'est déjà trop tard ou ce sera cher. Sinon réservez votre place au home pour vieux, à côté du canal avec les canards, c'est bien, vous serez entre vous, entre vieux, quoi. Quelle chance. Alors on regarde les dessins animés des images mobiles et on observe les pubs pour le zoo. Enfin pas trop, parce qu'elles deviennent très vite énervantes. Et monotones.

Mais quand on sort du métro, qu'est-ce qui nous attend? Un arrêt de bus, un arrêt de tram ou la grise réalité du lieu extérieur, là où nos destinées nous menèrent. Interloqué, on s'arrête, on cherche son chemin entre les murailles rectilignes et le ciel froid, les pavés, constate l'absence de sympathie et d'amour de ces lieux abandonnés par toute trace de divin et de grâce. Parfois, le vrai tunnel semble être à l'extérieur. Il faut toujours prendre le métro à deux, pour survivre. Je ne suis même pas sûr que cela soit suffisant. Sans artifices, s'entend.