mardi 18 décembre 2007

Les 90 minutes d'expression corporelle argentine

Je m'arrange pour arriver à l'heure, pour éviter la confrontation prématurée avec la réalité du cours. J'y arrive très bien. Manque de bol, Z est dans l'entrée et me met le grappin dessus à peine ai-je déposé ma parka sur un objet fait pour. Et elle se met à bavasser qu'elle est drôlement contente, que ça lui fait plaisir d'être là et qu'elle a déjà raconté à toutes ses copines qu'elle apprend la danse avec un grand français très charmant (juste un peu plus jeune?). Je m'arrange stratégiquement pour avoir l'air très absorbé par le nouage de mes lacets, une activité somme toute souvent négligée mais néanmoins nécessaire pour la réussite des actions qui s'ensuivent. Et puis je vais aux toilettes, tiens. Il serait rédhibitoire que j'eusse envie de faire pipi en plein milieu d'un mouvement. Et puis voilà, il faut y aller.

A et A' sont là, ça fait plaisir, je suis déjà content à l'idée du changement de partenaire. J'ai été gâté, ce soir, d'ailleurs, trois fois. Le prof a dû se rendre compte que faire valdinguer le boudin trapu (et usagé), c'était pas trop mon truc, même si je m'en acquitte avec une constance qui devrait m'honorer, si elle n'était si éprouvante. Sinon il y a un couple de moyens vieux qui sont là. Je dis ça, ils pourraient sûrement être mes parents. Appelons-les C & C', par constance maniaque d'ingénieur désœuvré. C' sait déjà le tango, un peu, ça tombe bien, parce que dans le cadre de notre voyage musical hebdomadaire et implacable, aujourd'hui, c'est le tango. Le tango qui, dans mes souvenirs, est une danse chargée d'énergie érotique, mais ça doit être mon imagination malade d'européen occidental, pleine de clichés. Donc j'inhibe, j'inhibe très fort, comme l'odeur du parfum de Z qui, au premier signe de rapprochement donné par le prof, me pétrit déjà joyeusement le bras droit.

Alors je regarde A et son bellâtre soldé, dans la glace. Ce n'est pas qu'elle soit extraordinaire. Ou si, peut-être, en tout cas, là-bas, dans ce milieu, par contraste, elle remporte tous les suffrages, même le prix Nobel de la paix. Si je regarde droit devant moi, de toute manière, je ne vois pas Z, je peux imaginer quelqu'un d'autre, si ce n'était cette odeur lentement moite... Par exemple L, M ou N. Pffff... mieux vaut ne pas y penser. Le tango, c'est facile. Balance, pivot central, translation, très géométrique, tout ça. Après, il y a le rythme. Z, elle a pas compris. Puis elle comprend. C' sait, mais il ne se la pète pas, ce dont je lui sais gré. C s'amuse. A' s'embrouille, je sens une tension avec A. Mmmm... Mais Z me colle et le prof n'a pas donné le signal. Pffff...

On enchaîne, on enchaîne. Et puis on échange. C est sympa. Plus petite que Z (oui, c'est possible), mais aussi plus alerte. Donc ça marche bien. Puis A. Bonjour, vous venez souvent? Elle a des yeux... intéressants. Je n'arrive pas bien à décrire leur qualité. En tout cas, quand je regarde droit devant, elle, au moins, je la vois. Le plus gros problème, sur la piste encombrée de trois couples, c'est de manœuvrer sans collisions, d'où changements de cours, ralentissements, et autres rotations plus ou moins contrôlées. Je vois Z avec A', du coin de l'œil. J'inhibe. Parfois, je me demande si elle n'a pas bu, avant le cours. Il faut tout le temps qu'elle dise des choses inutiles, faussement spirituelles. Et fort, pour que tout le monde entende. J'inhibe. Je pense à autre chose. Tiens, les vacances, bientôt...

J'eus encore deux fois l'avantage d'avoir A comme partenaire. L'une de ces occasions j'utilisai pour heurter involontairement, pas trop violemment, mais avec une inertie peu avenante, son orteil gauche, malencontreusement exposé par une forme de chaussure sans doute adaptée à la danse et non dénuée d'un certain esthétisme, mais fatalement propices à ce genre d'incidents. Beuh. Je suis embêté, elle ne m'en tient pas rigueur. Et puis à chaque fois il faut que je retrouve Z, qui m'assène qu'avec moi c'est drôlement mieux et que de toute manière, apparemment, c'est nous qu'on est les meilleurs, sur la piste. Je tempère gentiment toutes phrases incluant la première personne du pluriel. J'aime bien les moments avec A, aussi, parce que ça veut dire qu'au prochain tour, je serai avec C, mais Z tripotera A'. Ça me fait des vacances. A propos de vacances, ça y est, l'heure a sonné, le prof nous souhaite de bonnes fêtes et rendez-vous la deuxième semaine de janvier. Rumba. Youhou.

Z me souhaite encore de grandiloquentes fêtes de fin d'année (moi de même, pas chien - coyote -) et se réjouit d'avance pour la rumba. C'est ça, salut, moi, là, il faut que je défasse mes lacets, tout-à-l'heure je les avais peut-être surdimensionnés, dû à l'influence de paramètres extérieurs... Dehors il fait froid. Très froid. Mais j'ai retrouvé ma liberté. Et j'ai hâte de prendre une bonne douche désinfectante pour me débarrasser de cette odeur qui me colle à la peau.

A vous, amis qui eurent l'idée de m'offrir ce cours. Non, je ne vous en veux pas. Mais le premier d'entre vous qui a son anniversaire, je lui offre un cours de lutte gréco-romaine en douze séances dans un gymnase du quartier gay. Non, je ne suis pas rancunier.

1 commentaire:

Antoine a dit…

C'était ca ou cuisiner des bons petits plats tout seul devant son fourneau, hein Serge?