lundi 3 décembre 2007

De l'importance de la bande-son

Comme la plupart des autres autistes numériques, il m'arrive, souvent, très souvent parfois, de parcourir les tunnels et les voitures du métro, puis les rues attenantes, avec des écouteurs discrets dans les oreilles, pour atténuer les bruits de vie environnante. C'est un phénomène courant, ici, de toute manière. Et ce n'est pas dangereux tant que l'on entend encore les voitures arriver.

Certes, du point de vue de l'ouverture sociale, cela laisse encore à désirer. Ceci étant dit, même autiste numérique, je laisse encore ma place assise aux nécessiteux estropiés ou débiles dans le métro. Samedi même, alors que je me dirige vers mon appartement après un long combat dans la mer humaine des week-ends précédant Noël, arrive la station HBf. Je suis monté avant, pour éviter le flot et subséquemment, je suis assis sur mon postérieur sur les sièges en bois latéraux, ceux qui font tant pour le maintien des contacts humains en phase d'accélération et de décélération. A HBf, donc, ils se ruent, tous, comme des sauvages, vers les quelques sièges libres, prêts à bousculer quiconque serait sur leur chemin pour cette maigre contrepartie. Une femme d'âge avancé quoiqu'indéfini, reposant sur deux béquilles, se traîne péniblement jusqu'au milieu de la plate-forme alors que tous, fusant autour d'elle, ont déjà trouvé leur place. Et ils font mine de ne pas l'avoir vue, expirant bruyamment leur effort physique soudain ou dépliant un journal-paravent. Alors bon, je me lève et je lui laisse ma place. Bien sûr, elle est trop fière pour m'en remercier, grommelle quelque chose d'indéfinissable, de guttural et s'assied. C'est inouï le nombre de gens fiers qui pourraient passer pour impolis, dans cette ville. Heureusement, je les connais, je ne m'en formalise plus trop. Le moment drôle furent mes trois stations restantes de contemplation narquoise des petits satisfaits courbés précédemment cités, qui s'enfonçaient encore plus derrière leur journal ou observaient benoîtement les textures du tunnel, derrière la vitre. Le tout sur un fond de house électronique savamment mixée par Sister Bliss. Mais ça, ils ne le savaient pas.

Depuis le décès tragique de mon iPod suite à une glissade rédhibitoire sur la poche arrière, je m'étais refait une raison, sociale celle-ci. Et puis non, parce que le métro munichois sans compagnons d'infortune ou écouteurs, c'est déprimant. Alors j'utilise mon téléphone portable, qui a un bon son, d'ailleurs. Avec des écouteurs, pas à la teenagers groupés qui écoutent leurs échantillons sur le haut-parleur externe au milieu du wagon en alternant les "Krass", "Geil" et autres interjections étrangères caricaturales. Ils sont assis en groupes, affalés, les jambes bien écartées (les mâles), recomptant leur clinquant (les femelles), discourent de choses et d'autres, surtout d'autres, agrémentant leur platitude d'un fondu R'n'B strident et saturé par le haut-parleur microscopique et poussif. Puis s'envolent d'un coup, volaille impulsive, pour se précipiter hors du wagon en criaillant et poursuivre la représentation sur le quai alors que le groupe se rassemble. Je fais l'impasse sur tout ça en écoutant ce qui passe, Underworld, par exemple.

Faithless le matin, Underworld le soir. Et vice-versa. Les éternités de céramique froide passent plus rapidement, plus sereinement sur les synthés entêtants, les yeux atones des compagnons de train n'en sont pas plus lumineux, non. Hypnotisés matinaux, les zombies restent neutres, à moins que l'on ne les provoque. Mais pour l'imprévu, il faut toujours avoir une collection variée à portée de main. La foule s'amasse, se presse, il est temps de passer à quelque chose de plus conséquent, on augmente le bpm. Et ça marche. Combien de fois les Chemical Brothers ou Prodigy m'ont-ils sorti d'un mauvais pas? J'ai sûrement froissé quelques fiertés à ces occasions, mais qu'importe, je ne leur en veux pas. La ville, le samedi, c'est la guerre, alors il me faut des tam-tams...

Pour préparer les rendez-vous, même tactique. Un client difficile en vue ou une négociation salariale: Daft Punk. Une femme: Everything but the Girl. Un ami de trente ans: Oasis. Et mille autres variations. Mais ma dernière trouvaille est assez efficace. Dans le métro atone des matins et des soirs sans lumière, écoutez des trucs vraiment rigolos. Les autochtones seront déstabilisés par votre hilarité déplacée. Ils vous regarderont comme une bête curieuse mais seront désarmés. Non, ils ne vont pas se remettre en question, bien sûr. Alors moi, certains matins, j'écoute les réquisitoires de Desproges, rafraîchissants de leur mauvais goût outrancier et leur finesse verbale. Un truc qu'ils (les zombies métroportés) ne peuvent pas comprendre, surtout ceux-là. Cassés.

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