mercredi 30 janvier 2008

Networking

Hier soir, dans un hôtel qui aimerait s'appeler "luxe" du quartier de la gare, nous avions tous, nous, employés, que dis-je, frères d'armes ou d'infortune, une rendez-vous très important: la communication de notre stratégie d'entreprise pour l'année qui vient. Une occasion de se voir, de s'écouter et de partager ensemble de grands moments de transparence hypnotique et collégiale.

De l'ensemble des salles de conférences mises à disposition (moyennant obole) par l'hôtel, nous nous retrouvons dans celle du sous-sol, de taille respectable, d'autant plus qu'elle n'est qu'à moitié remplie par les chaises déjà proprement alignées face à l'écran. Les premiers arrivants forment des groupes, spontanément, se parlent, échangent, sur tous les sujets et celui qui nous occupera dans les heures à venir. Le networking a commencé.

Le networking consiste à être poli et intéressé avec des gens que l'on ne connaît pas, à faire des signes approbateurs de la tête, en rythme, donnant une illusion de compréhension, ou encore à discuter sans ambages avec des hiérarchiques supérieurs ou qui aimeraient bien l'être. Le networking est beaucoup plus efficace lorsque suffisamment arrosé de boissons alcoolisées et décoré de petits fours. Dans les milieux hétérogènes, le but est de ramasser le plus de cartes de visite possibles, mais là, dans ce milieu décidément homogène, on se contente de tailler le bout de gras avec le collègue qu'on n'a pas vu depuis longtemps parce qu'il a l'honneur et l'avantage d'effectuer un projet loin, portant haut notre oriflamme en des contrées le plus souvent primitives sinon désertes de joie et de chaleur.

Le networking peut aussi se résumer à parler avec les gens que l'on connaît et ignorer les autres, formant de petits groupes gentils et compacts, à la recherche du point de vue commun ou d'une bonne cuite collégiale, c'est selon. Le networking est le dernier rempart de l'entreprise moderne face à la paupérisation des rapports humains, en cela bien au niveau d'efficacité d'une partouze pour lutter contre la dénatalité. Et le networking annonce aussi la fin, lente et inéluctable, d'un événement récent qui glisse dans le passé et l'oubli, à la vitesse d'un mammouth dans une mare de goudron.

Avant le networking, le festival de la transparence corporatiste, la congratulation facile (moins que lors des réunions de bilan) et cet élan factice vers un avenir qui déjà nous fuit, la grande parade des illusions collectives. Garde la tête froide. Non, ce n'est pas possible, ce n'est plus possible. Le cynisme s'écoule de mes pores, les pensées négatives fulminent, l'ennui l'emporte, encore, toujours. Le foisonnement coloré des slides powerpoint s'estompe, lentement. L'appel de la forêt, derrière, loin. Il faudrait partir. Mais non, les sièges sont alignés, compacts, la foule entoure, la porte est loin, pourrai-je jamais franchir ce large espace à découvert sans encombres? Je ne le franchirai pas, d'abord parce que je suis lâche, ensuite parce que je suis fatigué. Alors pendant le networking, je recours aux artifices faciles d'une bouteille de vin autrichien. Bienvenue, des verres magnifiques.

Le networking s'essouffle, il se fait tard. Dehors, la nuit, les lumières. Encore. Toujours.

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