lundi 7 janvier 2008

Noël captif

25/12/07 21:27, Les Sables-d'Olonne, France


Noël, c’est bien, à part ce qu’il y a autour, c'est-à-dire : tout. Décorum capitaliste de société de consommation, as-tu acheté tes cadeaux ? Mes cadeaux sont venus séparément et statistiquement, je suis juste passé à côté de la catastrophe en me fiant aux recommandations d’Amazon.fr dans "ma page à mon image". Forcément, à part commander des bandes dessinées, sur Amazon.fr, je ne fais pas grand-chose. Alors ils ne me proposent que des bandes dessinées, attendant avidement que j’achète quelque chose d’autre pour me ressortir tout leur catalogue. Effectivement. Passons. Moi, je m’en fous, j’ai eu ce que je voulais pour Noël, c’est-à-dire: rien. D’accord, si, une petite surprise, ce qui est beaucoup mieux que les cadeaux téléphonés du best of des ventes en ligne. Et puis le Petit a eu ce que je voulais (pour lui), donc c’est bien aussi.

Les stations balnéaires, en hiver, jouissent d’une vie intérieure insoupçonnée, que les négatifs qualifieraient de soubresauts apoplectiques. A part la contemplation du vide, on fait dans la culture locale, hypnose hibernatoire d’un nombril chargé d’histoire, se rassurant du fait que la vie reviendra, sûrement, dans 6 mois, avec les jeunes qui viendront se baigner. Des contemplatifs, en attendant, il y a en a. Plus que l’on ne croirait. C’est bien, il reste quand même de la place pour les péripatéticiens en vacances.

L’image idyllique d’une patrie parfaite dans des rêves embrumés de vapeurs d’alcools munichois s’estompe. Ici, c’est comme partout. Les vieux agressifs, emprunts de leur fierté locale futile et souvent usurpée, chevauchent des 4x4 énormes pour parcourir les 200m qui les séparent de la boulangerie. La petite vieille chenue, au cabas grinçant, les parcourt, elle aussi, bravement. Mais face aux monstres d’acier climatophages, elle semble minoritaire. Petits bourgeois locaux, ils s’affichent au sortir de leur tracteur avec des couvre-chefs dignes d’une croisette beaucoup plus au sud, seulement ici, l’Atlantique est moins clément. Le vent du large est froid, raison de plus pour chauffer l’air conditionné derrière les vitres teintées. Notables, potentats régnant sur quelques mètres carrés de cabinet de notaire ou de pharmacie, le regard froid, plus froid même que certains d’outre-Rhin, écrasant de leur mépris ceux qui ne sont pas de leur monde. Il y a des coups de latte qui se perdent.

Petit coyote est content, chante tout le temps et veut courir sur la plage. Grand bien lui en fasse. Il a hérité de toutes mes petites autos, enfin. Avant de partir, belette stylée me faisait part de son expérience décevante de Barbie avec sa filleule. Pourtant, la veille, elle était encore emplie d’un enthousiasme enfantin à la perspective de ces retrouvailles incongrues avec une partie de son enfance. Et puis non, elle est revenue, après le week-end, déçue, amère et définitive: « Barbie, c’est nul ». Alors elle s’étonnait que moi, un coyote notoire, je me réjouisse à l’idée de déterrer une petite cinquantaine d’autos miniatures hétéroclites pour les mettre à la disposition de mon plus Petit que moi. Je lui révélais que chez le mâle (en particulier du coyote), l’enfant intérieur ne meurt jamais. La vérité est plus subtile: je ne saurais dire, de cet attendrissement paternel, de la douceur de souvenirs lointains ou du pur plaisir du jeu, lequel aura eu le premier mot. Je me surprends à tenir un discours étonnant sur la qualité des petites autos d’alors, roulant toujours plus de vingt ans plus tard, sans une ride, carrosserie en métal produite en Grande-Bretagne. Aujourd’hui tout est plastique et vient de Chine…

Repu d’un premier réveillon, une aube de compréhension m’éclaire lentement. En fait, je n’aime pas trop être ici. Sujet difficilement exposable en public ici, encore moins dans le cercle familial. La famille, pour un coyote, qu’est-ce que c’est ? Des souvenirs et des chaînes. Dans le cadre de mes investigations actuelles, je n’ai que faire des uns et je suis allergique aux autres. Difficile. Etre ingrat et foncièrement mauvais, que fais-tu alors ici, au terrier familial ? As-tu perdu ton chemin ? En quelque sorte… Je revois la vieille meute, avec plaisir. Mais je me rends compte que j’en suis parti et que je n’y retournerai jamais autrement que temporairement. Temporaire, un show futile et absorbé par les heures. Les vieux coyotes ne sont pas si vieux aux échelles d’aujourd’hui, mais ils n’en sont pas moins plus tous jeunes. Je me prends à regretter ma vie factice et artificielle, là-bas, à l’est.

Peut-être que ce ne sont que les ingrédients qui manquent. Une discussion avec la mère de mon Fils sur le chemin de l’aéroport il y a quelques jours me révéla que les choses changent et je n’en suis pas la dernière. Mais ici, c’est la quiétude du définitif, du confortable et cette éternité illusoire, devant les vagues. Des générations pousseront toujours des fauteuils roulants sur le remblai et des yeux sinon éteints s’illumineront temporairement sous la force des éléments. Les coyotes n’aiment pas quand ça sent la mort. N’ayons pas peur du mot. Et moi je suis vivant, en tout cas je fais de mon mieux pour l’être. Heureusement, il y a le Petit, mais il ne s’agit pas de vivre à travers lui, ni par contumace. Il faut qu’on s’occupe.

Il y a peu de belettes, ici. Dans l’avion non plus. Le hasard fit que je me retrouvai, avec le Petit, à côté d’un japonais apparemment égaré, mais très (extrêmement) poli et puis d’un enfant non accompagné, qui lisait sagement « Kid Paddle Magazine ». Si, la fille du stand de taxis, en arrivant à Budapest, avait quelque chose. Et puis le Petit a une technique terrible pour faire rire les filles. Mais il n’y avait personne à charmer. Alors on a parcouru le magazine d’Air France, en attendant la collation frugale qui souleva très peu d’enthousiasme, en particulier chez le Petit. Ici, sur le remblai, on en croise, mais elles sont toujours accompagnées, au pire d’un clone rasé de clip de hip-hop, au mieux d’une famille couvrant plusieurs générations, pub vivante pour la crème de nuit anti-âge. On se regarde. Elle tient le bras de sa grand-mère, je tiens la main du Petit. Sourire fugitif et puis on se croise, voilà, c’est tout. Frustrant. Même le manège du bout est fermé. Il m’a fallu recourir à des trésors enfouis de rhétorique pour justifier ce manque.

Depuis que je lui ai expliqué le cycle de l’eau, Petit coyote essaye de voir la mer à travers l’écoulement de la baignoire. Apparemment, il faut que je calibre mes explications.

Aucun commentaire: